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ZAOUIA D’AHANÇAL

(D’après les notices de M. le lieutenant SPILLMANN)

J’ai pensé que l’étude de la Zaouïa d’Ahançal pouvait présenter actuellement un réel intérêt: mais auparavant, je tiens à adresser tous mes remerciements à M. le Colonel Huot qui a bien voulu faire envoyer aux Bureaux des Renseignements et aux Contrôles Civils, mon long questionnaire sur les Confréries et les Zaouïas et à remercier également et, de plus, à féliciter tous ceux qui y ont répondu et ils sont nombreux. Il me serait impossible d’énumérer toutes les notices qui ont déjà été reçues par la Direction des Affaires Indigènes et du Service des Renseignements. Toutes sont intéressantes, quelques-unes sont plus que de simples notices et constituent des études complètes admirablement documentées. En un mot, j’éprouve cette grande satisfaction de voir se réaliser un projet que j’avais timidement envisagé, il y a une trentaine d’années, et qui consistait à faire une étude complète des Zaouïas et des Confréries marocaines avec le concours de toutes les compétences et de toutes les bonnes volontés.
A cette époque le travail paraissait presque irréalisable : le pays était encore complètement fermé et j’étais seul avec une documentation bibliographique assez médiocre et des connaissances personnelles qui étaient encore davantage. Je ne vous ferai pas l’historique de tous mes tâtonnements et de toutes mes erreurs. J’avais cette impression, tout à fait pénible, de me trouver devant un mur que je n’arrivais pas franchir; il reculait à mesure que j’avançais bien lentement et semblait toujours être a la même distance ; cependant, je voulais savoir ce qu’il y avait derrière.
Pendant longtemps. J’ai du m’en tenir aux confréries que je qualifierai de classiques : Aisaoua, Hamadcha, Guenaoua, Djilala, bref celles qui font du bruit dans les rues et que l’on ne peut pas ne pas voir. Mes relations personnelles avec le Chérif d’Ouezzane Sid El Hadj bdessalam et avec ses fils, m’ont permis d’approcher de plus près les Tiahama-Talbiyin. Petit à petit, les autres se révélaient; mais j’étais encore loin de soupçonner toutes les Zaouïas, tout cet enseignement mystique venu d’Orient, ni surtout les chables de Cheikhs et de disciples qui reliaient entre elles à travers le temps tous les centres de cet enseignement, qui était devenu un des principaux organismes du pays. Quant aux grandes Zaouïas berbères, où. S’étaient islamisées tant bien que mal de vieilles croyances, où s’étaient continuées sous forme de Chérifisme, d’anciennes traditions et des influences ancestrales, je ne m’en doutais pour ainsi dire pas.
C’est en préparant, il y a plus de vingt ans, la monographie d’El-Qçar El-Kebir qui a paru dans le deuxième volume des Archives Marocaines, que j”ai rencontré pour la première fois le nom d’Abançal; Il s’agissait d’un minaret en ruines que l’on m’a dit provenir de la mosquée de Sidi Ali Ahançal. Ce nom tout à fait étranger à la région m’avait frappé et j’ai cherché à en connaître l’origine.
Tout ce que j’ai pu savoir, c’est que la mosquée était ancienne et que Ali Ahançal était un Andalou antérieur à Moulay Ali Boughaleb, le patron de la ville qui remonte lui-même au XII e siècle de notre ère. Depuis, grâce à Foucault, à Depont et Coppolani, à Rinn, à Segonzac, j’avais pu me rendre compte. De l’inexactitude des renseignements qui m’avaient été donnés et, aujourd’hui, deux excellentes études de M. le Lieutenant Spillmann me permettent d’exposer en toute connaissance de cause l’histoire des Ahançal et de leurs zaouïas. J’ai pensé que le meilleur moyen d’utiliser de suite les notices rédigées par les différents services du Protectorat, était de m’en servir comme sujets de conférences et que ce serait là une excellente forme de collaboration.
D’une part, cela fait connaître les travaux qui ont été faits, et de l’autre cela me permet de vous entretenir de questions qui ont sans doute des origines anciennes, mais qui sont amenées jusqu’à nous par ceux qui les ont étudiées sur place.
J’ai choisi pour aujourd’hui l’étude de M. le Lieutenant Spillmann, d’abord parce qu’elle est très complète et très documentée et ensuite parce que Ahançal est à l’ordre du jour et que la mystérieuse Zaouïa berbère vient, il y a peu de temps, de s’ouvrir à nous. Nous pourrons ainsi, petit à petit, pénétrer pacifiquement un pays que nous ne connaissons pas et qui nous craint par ce qu’il nous ignore également. L’inimitié provient souvent d’une ignorance réciproque. Les berbères ne savent évidemment pas ce que nous leur voulons et notre arrivée peut leur apparaître comme une menace de bouleversement de leur vie et de leurs traditions : malgré nos efforts et le doigt incontestable de notre politique indigène, nous représentons l”invasion et surtout l’inconnu. Nous mêmes, nous nous trouvons en face de populations que nous connaissons encore assez mal et nous sommes exposés à les effaroucher sans le vouloir.
Notre entente avec Sidi Mah’Ahançal, qui a été suivie de sa venue à Marrakech, est une preuve évidente des résultats que l’on peut obtenir par une préparation habile basée sur une connaissance suffisante du terrain, de la mentalité des gens, de leur, besoins, de leurs ambitions et de leur histoire.
Ce n’est pas en effet le premier venu cet Ahançal, qui, en laissant même de côté ses prétentions à une origine chérifienne, fournit une chaîne d’ascendants que l’on retrouve d’une  manière authentique depuis plus de sept siècles, pendant lesquels sa famine a toujours exercé une certaine autorité politique et religieuse dans la même région.
Sept siècles de prestige, même local, constituent de fortes traditions.
Avant de vous donner communication des intéressants travaux de M. le Lieutenant Spillmann, je vous demanderai la permission de jeter avec vous un rapide coup d’oeil sur les ouvrages qui ont parlé de la Zaouïa d’ Ahançal, en dehors des deux ouvrages du Commandant Rinn et de Depont et Coppolani. Je n’ai malheureusement pas encore eu communication de la note de M. Coliac qui est d’ailleurs citée par le Lieutenant Spillmann. Foucault n’y a pas passé et il ne fait qu’en parler dans la deuxième partie de sa Reconnaissance au Maroc, faite sur renseignements. « Il existe, dit-il, chez les Ait Messat, une Zaouïa dont le chef est tout puissant sur eux : la Zaouïa d’ Ahançal. Le pouvoir de son Cheikh est absolu sur les Ait Messat et son influence s’étend beaucoup plus loin. Jusqu’à Marrakech d’une part, jusqu’aux Dadès et au Todra de l’autre, il est connu et vénéré. Un esclave de Sidi Hamed ou Hamed Ahansal, chef actuel de la zaouïa, suffit pour conduire en sûreté une caravane du Todra à Marrakech. A lui a recours quiconque veut voyager dans ces régions.
«Les Ait ·Messat ne parlent que le tamazirt: très peut parmi eux savent l’arabe. »
Tout le monde sait que c’est en 1884 que Foucault a terminé sa magnifique exploration au Maroc.
Vingt ans plus tard, le marquis de Segonzac visitait la Zaouïa d’Ahançal : le tableau qu’il en fait dans son livre «Au coeur de l’Atlas » n’a rien d’enchanteur et le chef de la Zaouïa, Sidi Ali Ou Hasein, ne lui semblait pas avoir une autorité considérable.
« Il avait, dit-il, deux zaouïas, rune a rentrée, l’autre à l’issue du col d’Ahançal d’où sortent, d’une part l’Asif Ahançal, principal affluent de gauche de l’oued El-Abid, et de l”autre l’oued Todra, affinent de l’oued Ziz. La clientèle spirituelle des Ahançal était à cette époque composée des Ait Bou Zid, Ait Atta, Ait Içah et Ait Soukhman »
Le même ouvrage, qui indique rapidement l’origine de ces Zaouïas, cite à propos de Sidi Saïd, leur fondateur. Une amusante étymologie du mot Ahançal qui lui a certainement été donnée par un taleb, heureux comme tous ses pareils de trouver un sens arabe à un nom très robablement berbère. « Sidi Sard Ahança], dit-il, était disciple de Sidi Abou Mohammed-calih, le patron de Safi. Sa mémoire prodigieuse lui valut de son maitre le surnom de Haççal, substantif arabe d’intensité qui signifie qui apprend vite et retient bien. Haççal devint en langue Chelha Ahaççal, puis Ahançal  »
D’après Segonzac également : « Au delà de Demnat, le Haut Atlas est peuplé de tribus berbères encore réfractaires à toute pénétration. Aucune autorité politique n’y est écoutée. Toute tentative de ce côté serait prématurée. Il y a lieu  cependant de nouer et d’entretenir des relations avec les chefs religieux, qui seuls ont accès dans cette région barbare. Ils ne sont que deux : Sidi Ali ou Hossein El-Ahançali et Sidi Ali Amhaouch »
En écrivant, il y a une dizaine d’années, une notice sur les Anibaouch et les Ahançal qui n•a paru qu’en 1917, dans les Archives berbères, j’émettais l’opinion que ces deux centres politico-religieux semblaient s’être plus  particulièrement partagés l’autorité dans cette région depuis la destruction par Moulay Rechid de la fameuse Zaouïa berbère de Dila.
Il est toujours difficile d’étudier isolément une Zaouïa ou une Confrérie ; la vie de ces centres religieux fait en effet partie de la vie du pays lui-même et ce sont justement les relations entre eux de ces différents centres d’influence, leurs rivalités, leurs intrigues, qui font l’intérêt et l’utilité de J’étude que nous avons entreprise.
Le premier Saïd Ahançal qui était disciple d’Abou Mohammed Çalih de Safi, vivait au treizième siècle, vers le milieu de la dynastie Almohade ; il fait partie de la première poussée de cheikh çoufiques antérieurs à Chadili. Ses descendants n’ont pas fait parler d’eux et n’ont du exercer qu’une influence locale jusqu’au deuxième Saïd Ahançal que nous verrons apparaître au dix-septième siècle sous le règne de Moulay Ismail.
Les Ahançal sont donc restés dans l’ombre sous les Mérinides et sous les Saadiens. Vous vous souvenez du mouvement religieux provoqué par les Zaouïas qui avait amené au trône cette dynastie de chorfa au moment de la pénétration portugaise. Ce mouvement avait permis le développement de nombreuses Zaouïas où se donnait l’enseignement du Chadilisme répandu par Djazouli et par ses disciples au seizième siècle, et c’est· d’une de ces Zaouïas, celle de Dila, située entre le Grand et le Moyen Atlas, qu’est partie la dernière réaction qui a failli amener au pouvoir une nouvelle dynastie berbère. La Zaouïa de Dila avait été fondée dans la deuxième moitié du dixième siècle de I’hégire par Boubeker ben Mohammed ben Saïd ben Ahmed ben Amer El-Medjati Eç-Cenhadji, disciple d’Abou Amar El-Qastalli EI-Marrakchi, disciple d’ Abdekerim El-Fellah qui avait eu lui-même pour cheikh Abdelaziz Tebba, disciple de Djazouli. Son petit fils Mohammed El-Hadj ben M’Hammed ben Boubeker EdDilai a régné à Fès et sur le nord-ouest marocain pendant environ vingt-quatre ans et il est certain qu’entre la dynastie des chorfa Saadiens qui s’éteignait à Merrakech avec Ahmed el Abbas et celle des chorfa Alaouites qui commençait à poindre avec M’Hammed ben Ech-Chérif El-Filali, la dynastie des Dilaites a failli soumettre une seconde fois le Maroc aux berbères Cenhadja, qui avaient déjà régné avec la dynastie Almoravide.
La Zaouïa de Dila fut prise et détruite par Moulay Rechid en 1668 et le bloc berbère qui s’était formé autour des Di1altes fut brisé. La politique intérieure des Alaouites, pendant près de trois siècles, a consisté à empêcher ce bloc de se reformer et cet effort a été facilité par les luttes entre elles des Zaouïas qui cherchaient à le reformer chacune à leur profit. Parmi ces zaouïas, celles qui ont eu le plus d’importance d’après ce que nous pouvons savoir, sont celles d’Amhaouch à Arbala et celle d’Ahançal. Toutes les deux d’ailleurs procèdent de Djazouli et ont Boubeker Ed-Dilai dans leur chaîne d’enseignement. Pour essayer de reconstituer cet ensemble, je vous demande la permission de vous dire deux mots des Amhaouch avant d’entrer définitivement dans l’étude des Ahançal. Le premier personnage connu de cette famille s’appelait Boubeker, des Ait Amhaouch, fraction des Ait Cbokhman; on ne connaît exactement ni l’époque de sa naissance, ni celle de sa mort, mais on sait qu’il était disciple d’Ahmed ben Naçer, fils de M’Hammed ben Naçer, le fondateur de la Confrérie Naciriya de Tamegrout. Ahmed ben Naçer est mort en 1716, Boubeker Amhaouch son disciple devait donc être contemporain de Moulay Ismaïl et de Moulay Abdallah. Ni lui, ni son fils Naçer, n’ont fait parler d’eux et on ne sait rien sur le rôle qu’ils ont pu jouer dans les luttes entre eux, des fils de Moulay Ismaïl; mais Mohammed ou Naçer, le fils de Naçer, a pris parti en 1770 pour Moulay Yazid contre son père le Sultan Sidi Mohammed ben Abdallah.
Il a laissé trois fils : Boubeker, Mohammed et El-Hasan. Ce deuxième Boubeker Amhaouch a provoqué en 1819, contre le Sultan Moulay Sliman, un immense soulèvement de toutes les tribus berbères de J’Atlas. Ce mouvement relativement récent présente cette particularité très intéressante qu’il était dirigé contre tout ce qui parlait arabe au Maghrib. On peut donc en conclure que c’était un véritable réveil de nationalisme contre l’élément arabe et une tentative de restauration berbère. Trois ans plus tard, en 1822, Boubeker Amhaouch tenta contre Moulay Abderrahman qui venait de monter sur le trône un mouvement analogue, mais il y renonça pour obtenir du nouveau Sultan la mise en liberté du cheikh Moulay El-Arbi El-Derqaoui qui avait été incarcéré par Moulay Sliman. Il semble donc que dès sa création, la Confrérie des Derqaoua, avait pris une grande influence dans les tribus berbères où elles paraient avoir remplacé celle de la confrérie des Naciriya. Les Amhaouch comme les Ahançal de la deuxième période d’ailleurs, procèdent des Naciriya et d’après ce que j’ai pu savoir ils seraient tous les deux aujourd’hui affiliés aux Derqaoua. L’influence des Naciriya chez les Amhaouch semble plus directe encore que chez les Ahançal. Le premier Boubeker Amhaouch avait donné à son fils le nom de Naçer, en souvenir de son cheikh Ahmed ben Naçer et ce cheikh avait prédit que lorsqu’apparattrait l’Antéchrist, le Doudjjal, il naîtrait d’autres Doudjdjals parmi lesquels serait un Amhaouch. Les berbères de la région attendent dit-on toujours cet Amhaouch Doudjdjal qu’ils considèrent comme une sorte de Maître de l’Heure national qui doit rétablir la suprématie berbère.
Dans cette sorte de trilogie des Dilartes, des Amhaouch et des Ahançal, il est possible de retrouver l’espoir tenace du sentiment national des tribus de l’Atlas qui ont toujours résisté à l’arabisation et dont l’islamisation s’est pour ainsi dire berbérisée.
Les Ahançal paraissent avoir eu une importance locale moins considérable que les Amhaouch, mais, par contre, ils semblent s’être étendus davantage dans tous le Maroc et leurs ambitions, au commencement de la dynastie Alaouite, avoir été plus vastes.  Il y avait à cette époque des Zaouïas d’ Ahançal dans presque toutes les villes du Maroc : à El-Qçar, à Tanger, à Tétouan, à Rabat, à Marrakech.
Je ne saurais mieux faire maintenant que de vous donner communication du résumé des deux intéressantes études de M. le ·Lieutenant Spillmann, auxquelles je me suis permis seulement d’ajouter quelques renseignements bibliographiques.
«L’Histoire de la Zaoufa d’Ahançal, de ses origines jusqu’à nos jours, est particulièrement difficile à reconstituer. Il est peu à près impossible de la connaître de façon satisfaisante et les renseignements que l’on peut trouver dans les livres, ou recueillir sur place, permettent tout au plus de se faire une idée très générale sur son passé et son rôle.
Ces difficultés proviennent surtout du fait que la zaouïa d’ Ahançal est située dans un pays de hautes montagnes d’accès difficile, de climat rigoureux et de fertilité médiocre. Protégée par ces facteurs de vie si défavorables, cette région n’a jamais été soumise à l’influence des sultans et a toujours vécu à l’écart du ” bled Maghzen». Sa situation géographique accentue encore cet isolement. Elle est en effet éloignée de Fès et de Marrakech et en dehors des grandes voies de communication : Marrakech – Tadla – Fès ; Marrakech – Tizi N’Telouet – Todgha – Ferkla – Tafilelt ; et Fès – Tafilelt.
Aussi, les écrivains ignorèrent la zaouïa pendant longtemps et il est très probable que nous n’en aurions pas entendu parler si, dans la deuxième moitié du  dix-septième siècle, un Hançali n’avait fondé une «Tariqa »qui fut appelée la «Tariqa Hançalia».Les zaouïas Ahançala d’Algérie ont pu fournir des renseignements sur la vie du fondateur de cet ordre religieux.
Cependant, les indigènes de la région ont gardé le souvenir des Ahançalles plus remarquables et, bien que vagues, les renseignements qu’ils donnent n’en sont pas moins intéressants et concordent d’une façon générale avec ce que les livres d’histoire ou d’études religieuses nous apprennent.
Le premier des Ahançal, Sidi Said Ou Amer, serait d’origine chérifienne. C’était un simple marabout, assez instruit et assurément très intelligent. Il s’établit dans le Haut Atlas Oriental entre le Dadès et le Tadla, au treizième siècle de l’ère chrétienne. Cette époque fut particulièrement favorable aux marabouts. La chute des Almohades ayant entraîné de nombreux troubles, les tribus étaient plus divisées que jamais et ces luttes incessantes favorisèrent le développement de l’influence maraboutique qui mit un frein aux discordes.
Les descendants de Sidi Sald Ou Amer vécurent tranquillement, de la vie des marabouts locaux, dans le petit fief temporel légué par leur ancêtre. Un des leurs, Sidi Sald Ou Youssef, créa, au dix-septième siècle, la « Tariqa Hançaliya ». Mais, à la suite d’événements encore mal connus, cet ordre religieux qui eut une influence considérable et une vogue rapide, disparut du Maroc.
La Zaouïa d’Ahançal subsista, mais ses chefs perdirent le souvenir de la ” Tariqa ” de Sidi Said Ou Yousef. Ils s’employèrent habilement à maintenir et à développer leur autorité temporelle sur les tribus de la région. Le prestige de leur famille maraboutique, son ancienneté dans le pays, facilita leurs efforts, et, à notre arrivée dans la région de Marrakech, la Zaouïa d’ Ahançal représentait une force politique considérable. Elle joue actuellement dans le grand Atlas Oriental le rôle que joua, dans le Moyen-Atlas, la famille des Amhaouch.
Le premier Ahançal que nous connaissions, Sidi Said Ou Amer, était originaire du Sous, dit-on. Il vivait au treizième siècle de l’ère chrétienne et fut un des disciples de Abou M’Hammed Çalih le patron de Safi, élève du fameux Abou Median El-Ghaout,plus connu sous le nom de Sidi Bou Median, enterré à El-Eubbad près de Tlemcen.
De bonne heure, Abou M’Hammed Çalih reconnut que Sidi Saïd Ahançal avait des dons incontestables. Aussi s’occupa t il tout particulièrement de son instruction, et lui prédit-il un brillant avenir.
Quand il jugea que son élève n’avait plus rien à apprendre, il lui fit don d’un âne, d’un chat et d’une partie de sa < baraka >, puis il le congédia en lui disant : <Suis ton chemin jusqu’à ce que le chat te quitte; tu t’arrêteras alors et tu habiteras cet endroit. > .
Sidi Saïd El-Hançali connu sous le nom de Dada Saïd voyagea pendant deux semaines et parvint à Taghia N’ Aït Taguella, sur les bords d’une rivière appelée depuis Assif N’ Ahançal.Taghia était en pays Aït Taguella, au nord du Dadès, dans le Grand Atlas. Toute la région, habitée actuellement par les Ait Bou Iknifen, Aït M’Hammed, Art Ougoudid, Ait Outferkal, était occupée à cette époque par les Aït Taguella et par leurs cousins les Ait Ouasser.
Les Ait Taguella accueillirent convenablement Sidi Saïd. Ils le marièrent et lui donnèrent quelques terres. Habitués à peiner pour vivre, ils ne pouvaient en effet admettre que l’étranger qu’ils venaient de recevoir vécût à leurs frais. Sidi Saïd se mit donc au travail et ses cultures furent bientôt prospères. Il eut aussi un fils qu’il nomma Sidi Othman. Sa réputation grandit peu à peu, et par sa piété, sa science et sa (( baraka )) qui était profitable à ceux qui l’approchaient, il commença à avoir de l’influence sur les Aït Taguella.
Les Ait Ouasser virent d’un très mauvais oeil l’installation de Sidi Said chez leurs voisins. Leur aversion se changea rapidement en haine, et ils en vinrent à considérer le marabout comme un dangereux sorcier dont la disparition serait un bienfait pour le pays. Un jour que Sidi Saïd se rendait à Talmest, les Aït Ouasser lui tendirent une embuscade aux abords de Tizi N’Tilissi, pour le tuer. Mais Sidi Saïd passa derrière des rochers élevés, tous près d’eux, sans qu’ils s’en doutassent. Il était alors monté sur une jument, suivie de son poulain, et escorté d’un sloughi. La trace de ces animaux se verrait encore de nos jours, profondément incrustée dans la pierre, aux abords du col.
C’était l’époque où la grande confédération berbère des Aït Atta du Sahara faisait, comme tous les berbères Sahariens, de gros efforts pour se rendre maîtresse des cols qui conduisent à la plaine et pour prendre pied dans celle-ci.
Dada Said EI-Hançali, étranger aux Ait Taguella, devint J’allié des Aït Atta. Après de nombreux combats, les Ait Atta expulsèrent les Aït Taguella de leur pays et y installèrent des familles des Ait Bou Iknifen, une de leurs nombreuses fractions. Ces familles formèrent par la suite la tribu des Ait Bou Iknifen de Talmest, ainsi appelée pour les distinguer de leurs « frères » du Sahara et de l’Ou~sikis. A peu près vers la même époque, les Ait Atta s’attaquant aux Ait Ouasser, les chassèrent comme ils avaient chassé les Ait Taguella, et laissèrent à Bernat, dans le pays actuel des Ait M’Hammed, les Ait Ounir, autre fraction de leur confédération. Enfin, remontant toujours vers le Nord, ils installèrent à Ouaouizert des représentants de toutes leurs fractions. Ces familles formèrent, elles aussi, une véritable tribu, les Aït Atta N’Oumalou. Dada Saïd a su très habilement profiter des rivalités entre elles des tribus : s’appuyant sur les plus fortes, il intervenait également en faveur des plus faibles et il arrivait ainsi à se créer dans la région un rôle d’arbitre et à se tailler da:1s le Grand Atlas et à la soudure du Grand et du Moyen Atlas, dans le pays habité actuellement par les Ait Isba, les Ait Bou Iknifen, les Ait Bou Guemmez et les Aït M’Hammed, un véritable fief temporel.
Lorsque son petit fils Sidi El-Hasan Ou Othman eut grandi, Sidi Said le chargea de prendre le commandement des Ait Taguella et de diriger leur émigration. Il les conduisit dans la vallée du Zmaiz, à 1 ‘endroit appelé depuis Ait Taguella où ils habitent encore de nos jours.
Comme l’eau faisait totalement défaut pendant une grande partie de l’année, les Ait Taguella vinrent se plaindre à Sidi El-Hasan et lui demandèrent à changer de résidence. Sidi ElHasan se contenta de répondre : (( Creusez et vous trouverez )), lls suivirent ses indications et découvrirent une nappe d’eau souterraine qui leur permit de forer de nombreux puits.
Ils ne s’estimèrent pas encore satisfaits et déclarèrent à Sidi El Hasan qu’ils ne pourraient pas semer, en cet endroit du mais, car les « séguia » leur faisaient défaut pour entreprendre cette culture. Sidi El-Hasan leur dit : « Labourez et le maïs lèvera >>. En effet, leurs récoltes de mais furent bonnes et ils n’osèrent plus insister.
Dada Said El-Hansali ne paraît pas avoir fondé de Confrérie. Il se contenta en répandant l’enseignement qu’il avait lui-même reçu d’Abou Mohammed Çalih, d’établir son prestige dans la région où il s’était établi. Il eut des disciples, entre autres Yahia ben Abou Amar Abd El-Aziz ben Abdallah ben Yahia El-Hahi, enterré à Tighza et fondateur de l’ordre des Hahioun.
Sidi Saïd avait trois frères : Sidi El-Hadj Ou Amer, Si Hamed Ou Amer et Si di M’Hammed Ou Amer. Ils vinrent  probablement auprès de Sidi Saïd quand celui-ci eut établi son autorité dans le Djebel, puis ils durent rayonner autour de la Zaouïa, et ils s’installèrent dans les tribus favorables au Hansali où ils se créèrent une clientèle.
Sidi El-Hadj ou Amer est enterré dans l’Est, à un endroit appelé El-Hart, non loin du Todgha. Il aurait encore dans cette région des descendants qui vivraient de « ziaras ».
La tombe de Sidi Ahmed Ou Amer est à Aganan, en pays Ait M’Hammed entre les Ait Daoud et les Ait Outbaghous. Actuellement les Ait Ouganan perçoivent quelques << ziaras >> et ne font partie d’aucune fraction. Sidi Moha Ou Ali, l’informateur du Lieutenant Spillmann ignore si ces gens sont les descendants de Sidi Ahmed.
Sidi M’Hammed Ou Amer est enterré aux Ait Tououtlin, en pays Oultana. Il n’aurait pas laissé d’enfants.
Quand Sidi Saïd El-Hançali mourut, il fut enterré à sa Zaouïa de Taghia. Il n’avait qu’un seul fils, Sidi Othman, qui lui aussi n’eut qu’un seul enfant, Sidi El-Hasan. Celui-ci laissa trois garçons,Sidi Yousef, Sidi Ali et Sidi M’Hammed. Aucun d’eux ne fit particulièrement parler de lui, et il est probable qu’ils vécurent tranquillement et sans éclat dans leur fief temporel.
C’est peut-être à cette époque que l’on s’occupa de donner à la famille des Ahançal une origine Chérifienne. Grâce a l’ingéniosité des généalogistes, ils purent prétendre descendre des chorfa ldrisites, par la chaîne suivante: Si di Saïd El-Hançali, fils d’Amer, fils de Jouz, fils de Maajouz, fils d’Ibrahim, fils de Yousef, fils d’Abd EI-Kerim, fils de Mohammed, fils d’Idris,fils d’Idris El-Kebir, fils d’Abdallah El-Kamel, fils de Hasan EI-Mouthenna, fils de Hasan Sibt, fils d’Ali, fils de Bou Taleb.
Trois arbres généalogiques porteraient les cachets des sultans. L’un serait entre les mainsdesAïtTghouliast, fraction Ahançala établie non loin de la Zaouïa de Taghia, dans la vallée de l’ Aqqatiririt, un autre appartiendrait à Sidi M’Ha, chef actuel de la zaouïa, et le troisième serait la propriété des Ait Sidi Y ousef Ou Abd El-Aziz, descendant de Sidi M’Hammed Ou El-Hasan. Les Aït Sidi Yousef habitent actuellement les environs de Demnat »

 

On remarque dans cette généalogie des Ahançal des noms singuliers et qui n’ont rien d’arabe : le grand-père de Dada Saïd se serait appelé Jouz et son arrière grand-père Maajouz:cela se rapproche étrangement des fameux Gog et Ma gog  de l’écriture, que le Coran appelle Iajouj oua Majouj et qui sont des populations sauvages et idolâtres enfermées par Alexandre le Grand derrière des murailles de fer pour les empêcher de se répandre sur le monde.
Il est nécessaire d’ouvrir une parenthèse avant de commencer la biographie du deuxième Saïd Ahançal, Saïd ben Y ousef, qui vivait au dix-septième siècle. Encore aujourd’hui, les Ahançal parlent surtout berbère et Sidi M’Ha lui-même, d’après ce que j’ai pu savoir, sait très mal l’arabe. Il est donc à peu près certain que le premier Saïd Ahançal, le disciple d’Abou Mohammed Çalih, ne parlait que berbère, que c’est dans cette langue qu’il a reçu son enseignement religieux et qu’il l’a lui même transmis à ses disciples. On arrive ainsi à cette conclusion que l’enseignement de certaines Zaouïas n’était pas donné en arabe, mais en berbère.
Nous avons vu déjà que Moulay Bouazza ne savait pas l’arabe et qu’il était obligé d’avoir recours à un interprète pour pouvoir converser avec ses visiteurs.
Un renseignement encore plus précis à ce sujet est donné dans un ouvrage de l’arrière petit-fils de Abou Mohammed Çalih, le « Minhadj El-Ouadih fi tahqiq Karamat Abi Mohammed Çalih » (La voie manifeste pour l’établissement certain des prodiges d’Abou Mohammed Çalih.)
L’auteur Ahmed ben Ibrahim ben Ahmed ben Abou Mohammed Çalih, s’exprime ainsi au commencement du troisième chapitre : << Lorsque je me suis rendu compte de la disparition des maîtres que j’avais rencontrés et dont j’avais entendu des enseignements profitables qui provenaient de notre cheikh, que Dieu lui fasse miséricorde, j’ai appris ces enseignements par coeur,je les ai rédigés et je les ai conservés; mais je les avais entendus pour la plupart en langue berbère, bi lisan er-retana, et je les ai recopiés en langue arabe après les avoir corrigés et revus».
Dans un article paru dans le numéro du deuxième trimestre de cette année du Journal Asiatique, M. Henri Basset cite un manuscrit berbère trouvé à la Zaouïa de Tarjijt, chez les Ida ou Brahim par M. Gérenton, officier interprète de 1re classe du Service des Renseignements. Ce manuscrit est intitulé Kitab elMaw’iza, Livre de l’exhortation. M. Henri Basset, après avoir analysé cet ouvrage, manifeste le regret qu’il ne soit pas daté, ce qui, dit-il, empêche de n’en tirer aucune conclusion concernant l’histoire de ta langue.
Le Minhadj El-Ouadih, n’est pas daté non plus; mais on peut calculer approximativement que J’arrière  petit-fils de Abou Mohammed Çalih, qui en est l’auteur, devait vivre un siècle après lui, c’est-à-dire au quatorzième siècle. Cela permet de penser qu’à cette époque l’enseignement se faisait souvent en langue berbère et de croire avec beaucoup plus de certitude que les cheikhs précédents devaient faire leurs cours en berbère. On m’a même parlé d’une traduction du Coran en berbère qui aurait été faite par Sidi Ali bel Mekki Amhaouch qui est mort il n’y a pas bien longtemps.
Je ferme ici la parenthèse pour reprendre la notice de M. le Lieutenant Spillman.
Les enfants de Sidi Yousef, de Sidi Ali et de SidiM’Hammed ne paraissent pas être sortis de l’obscurité. Ils durent très probablement vivre de la réputation de leur aïeul Sidi Said Abançali El-Kebir et s’en contenter. Leur influence fut certainement très limitée et même à peu près nulle car l’histoire et la légende les ignorent.
Il faut attendre jusqu’à la fin du dix-septième siècle de l’ère chrétienne, avant de voir un Ahançal reparaître sur la scène politique et religieuse. Abou Othman Sard ben Yousef Ahançal, plus connu dans le pays sous le nom de Sidi Saïd Ou Yousef, était un des arrière petits-enfants de Sidi M’Hammed Ou ElHasan, arrière petit-fils de Sidi Saïd El-Hançali El-Kebir D’après la légende, il fut conçu et mis au monde après une visite que Nedjma, sa mère, avait faite au tombeau de Sidi Saïd. Ce sanctuaire encore de nos jours la réputation de rendre fécondes les femmes stériles ; aussi est-il très fréquenté. La femme qui désire un enfant entre dans la chambre où il est enterré, dénoue sa ceinture, l’accroche à la pierre tombale à côté de laquelle elle passe la nuit. Elle peut s’en aller le lendemain avec la certitude que ses désirs seront exaucés.
Quand Si di Saïd ben Yousef naquit, il était si faible que l’on considéra comme un miracle qu’il ne soit pas mort peu après. Les indigènes ont perdu complètement le souvenir de ce qu’il fit dans son enfance. D’après Sidi Moha Ou Ali, Sidi Saïd Ou Yousef vécut au onzième siècle de l’Hégire. Il vint de la zaouïa Ahançal et habita aux Aït Mesrif ou il fonda une zaouïa. II était« Aguellid », c’est-à-dire chef, et commandait tout le Djebel. Son fils, Sidi Yousef, était son khalifa et lui succéda à sa mort.
Il faudrait se résigner à ignorer à peu près tout de la vie de Sidi Saïd ben Yousef, si le Commandant Rinn, dans son livre (( Mara-bouts et Khouans ),, ne donnait sur lui de précieux renseignements puisés auprès des Zaouïas Hançaliya de la région de Constantine.
Voici le résumé du travail du Commandant Rinn :
Sidi Saïd Ou Yousef perdit de bonne heure son père ; son oncle qui l’avait recueilli lui faisait garder les moutons et il s’enfuit de chez lui pour aller apprendre le Coran chez un maître d’école de Tislit, non loin du Djebel Ghenin. De Tislit, il alla à l’aventure, avec la ferme intention de compléter son instruction. Il resta sept ans à El-Qçar El-Kebir, où il se fit remarquer par sa piété et par son intolérance religieuse. Il séjourna sept autres années à Fès, d’où il se rendit au Tafùelt, à la zaouïa d’Akhennous. Il resta sept ans également auprès du chef de cette zaouïa, le cheikh Abou Abd Abdallah Mohammed ben Sidi Hafid, des Oulad Mahmed.
D’Akhennous, Sidi Saïd ben Yousef partit pour la Mecque afin d’y accomplir l’obligation du pèlerinage. Celui-ci achevé, il tomba malade à Médine et demeura trois ans dans cette ville. De Médine, il se rendit au Caire où il étudia à la fameuse mosquée d’El-Azhar. L’Imam Kharchi et le chaikh Soltan furent ses maîtres. Au Caire, Aïsa Ed-Djoueidi Ed-Damiati lui enseigna le célèbre poème de l’Imam Abd Allah Mohammed Ed Diroudi Ed~Damiati. Ce poème est devenu un des ouerds des Ahançal. Sidi Saïd se rendit aussi à Alexandrie où il visita le tombeau de Sidi Abbas EI-Misri. Ce fut dans ce sanctuaire qu’il eut la vision qui décida de sa vocation. Les saints d’Orient lui apparurent et lui ordonnèrent d’aller au Maghreb prêcher les gens de bonne volonté. Le Prophète lui-même, au cours d’une apparition, lui confirma cet ordre. Enfin, les saints remirent un fouet à Sidi Saïd pour faire rentrer dans la voie du Salut ceux qu’il désirait sauver et pour guérir les malades.
En revenant dans son pays Sidi Saïd Ou Yousef fut attaqué aux environs de Tlemcen par les Beni Amer qui le dépouillèrent complètement. Sa frayeur et les fatigues de son voyage lui firent perdre la mémoire et il oublia tout ce qu’il savait, sauf les deux sourates préservatrices (CXIII et CXIV) et Je poème de l’Imam Ed-Damiati.
Sans se décourager, il se remit au travail et il se rendit à Tamegrout auprès de Sidi Mohammed ben Naçar Ed-Draï qui lui réapprit l’a ouerd >> de Chadili. Il reçut ensuite l’ « ouerd >, de quatorze autres <c chioukh n. La mémoire lui étant revenue, il voulut aussi retrouver les extases et il alla à cet effet au tombeau de Moulay Abdessalam ben Mechich où il resta une année à jeûner et à prier. Mais ces privations exagérées faillirent lui faire perdre de nouveau la mémoire.
A Fès où il séjourna ensuite, Sidi Said Ou Yousef suivit à la zaouïa de Si di Bekka Ed-Demaoui les cours d’Abd El~ Malek Et Tadjemouti et de Sidi El-Hasan ben Mesaoud. Puis, dans une autre zaouïa, située entre Fès et Zerara, près du Tadla, il devint le disciple préféré de Sidi Ali ben Abd Er-Rahman Et-Tadjemouti,moqaddem des Djazoulya qui l’autorisa à donner l’ «  ouerd »_Sidi Saïd Ou Y ousef fit alors venir ses parents et il commença à enseigner; il fit ensuite des tournées de « ziara » et de propagande
Enfin, pour obéir à son chaikh, il construisit aux Ait Metrif une zaouïa où il mourut le 1er redjeb 1114 (21 novembre 1702).Il avait désigné son fils Abou Amran Yousef comme son successeur.
Sidi Said Ou Yousef El-Hançali était un des arrières petits-enfants de Sidi M’ Hammed Ou El-Hasan, arrière petits-fils de Dada Saïd El-Hançali. Il manifesta de bonne heure un vif goût pour l’étude et voyagea pour s’instruire. Ce n’est que. Vers la fin de sa vie, après avoir reçu les leçons de maîtres illustres, qu’il songea à se fixer et à enseigner à son tour.
Il serait intéressant d’essayer de déterminer l’endroit exact où s’élevait la zaouïa des Ait Metrif.
D’après certains auteurs, la zaouïa des Ait Ishaq, qui existe encore actuellement, serait bâtie sur l’emplacement de l’ancienne zaouïa des Aït Metrif, qui aurait elle-même succédé à la zaouïa de Dila, rasée par le Sultan Moulay Rechid. Mohammed ben Djafar El-Kittani, auteur de la Salouat el-Anfas, dit que Sidi Saïd Ou Yousef a été enterré à Dila. Cette indication se trouve dans la biographie de Sidi Mohammed ben Djamâ El-Yousfi Ez-Zadjli qui suivait la Tariqa Hançaliya et qui  habitait ElQçar ; il était, dit le texte, disciple de Sidi Said Abançal qui est enterré à Dila. Mohammed ben Djama était en désaccord avec Moulay Taïeb El-Ouazzani à propos de la proclamation du Sultan Sidi Mohammed ben Abdallah. On peut en conclure qu’à ElQçar, la tarîqa Hançaliya avait subsisté pendant les règnes de Moulay lsmaïl et de Moulay Abdallah.
Sidi Moha Ou Ali, qui est lui-même de la famille d’Ahançal et qui est l’informateur habituel du Lieutenant Spillmann pour ce qui concerne la zaouïa d’Ahançal, prétend que la zaouïa des Ait Metrif était située sur le territoire des Ait Aourziq, en pays Ait Atta N’Oumalou, entre le Tizi n’Ait Ameir et Ouaouizert, un peu au sud du Djebel Ghenein. Une Qoubba a été construite pour abriter la tombe de Si di Sald Ou Y ousef et les Ahançal de la zaouïa de Taghia y font porter chaque année des offrandes. Les Ait Yousef Ou El-Hasan de Ouaoudrent y font aussi la « debiha ». Ces renseignements sont d’ailleurs confirmés par Sidi M’Ha et par le Capitaine Lucas, Chef du Bureau des Renseignements d’Ouaouizert, qui écrit à ce sujet: ” Il y a en effet aux Ait Ouarziq, dans le pays des Ait Atta, une Qoubba de Sidi Saïd Ou Yousef, considérée comme le fondateur des Ahançal. Cette Qoubba, est sur l’emplacement d’une zaouïa qui s’appelait Naït Drifl et la source qui est à côté s’appelle Aghbalou N’Ait Drift”· D’autre part. un ouvrage arabe sur les saints de Marrakech. « Es-Saada El-Abadia 11 d’Ibn El-Mouaqqit, s’exprime ainsi à la page 56 du deuxième volume, à la fin de la biographie de Abou Othman Saïd ben Yousef El-Hançali : ” Il mourut en redjeb 1113 (1701-1702). Une petite Qoubba a été élevée sur son tombeau à l’endroit dit Souiqet Meçaffah. Dans le quartier de Sidi Abdelaziz Tebba, à Marrakech. Sa sépulture est un lieu de pèlerinage pour les malades et surtout pour les femmes ».
Il est curieux de noter que Sidi M’Ha a vaguement entendu parler de Sidi Saïd Ou Yousef, mais il ignore qu’il ait fondé la Tarîqa Hançaliya. Il ne connaît pas non plus l’existence des Zaouïas Ahànçala la d’Algérie. Cependant, à la zaouïa de Taghia, on récite toujours le poème de l’imam Abdallah Mohammed EdDirouti Ed-Damiati, qui était le Grand « Ouerd » de la confrérie des Ahançala.
Sidi Youssef s’occupa activement du développement de l’ordre des Ahançal. Ses disciples créèrent un peu partout dans le Maroc, es Zaouïas pendant que Sidi Youssef consolidait et étendait son autorité temporelle sur les tribus chleuh du Grand Atlas Oriental et du Moyen Atlas.
Sa fin est restée mystérieuse et l’on ignore où il fut enterré. Le Commandant Rinn et Depont et Coppolani admettent que sa puissance a sérieusement inquiété Moulay Ismaël qui l’aurait attiré à sa cour et fait mettre à mort.
Il est intéressant de rapporter ici les faits relatés par Ahmed ben Khaled En-Naciri dans son Kitab El-Istiqça, car sa version se rapproche sensiblement de celle donnée par notre informateur, Si Moha Ou Ali El-Hançali. Voici ce que dit Si Ahmed En-Naciri :« L’auteur d’El-Azhar En-Nadiya dit qu’en envoyant son frère Moulay Ahmed au Tafilelt, le Sultan Abou Merouan Abdelmalek écrivit au Gouverneur de cette province de lui crever les yeux dès son arrivée. Moulay Ahmed fut prévenu de cet ordre et s’enfuit à la zaouïa du Cheikh Abou Othman Sidi Saïd Ahançal. Le moqaddem de cette zaouïa, Sidi Yousef, qui était le fils de ce cheikh et qui savait prédire les événements, annonça à Moulay Ahmed qu’il rentrerait au pouvoir. Cette prophétie se réalisa.
Sidi Moha Ou Ali EI-Ahançali, de son côté, rapporte ceci :” Quand Sidi Said mourut à sa zaouïa des Aït Metrif, il fut remplacé par son fils Sidi Yousef. Un jour, un sultan de Meknès se présenta devant Sidi Yousef qui était puissant et lui demanda son aide pour faire rentrer dans l’obéissance des gens qui venaient de se révolter contre lui. Mais Sidi Yousef se souvint que son père lui avait recommandé, avant de mourir, de se méfier des solliciteurs qui, après avoir exposé leur affaire, iraient s•asseoir sur un petit rocher situé devant la porte de la zaouïa. Le sultan s’étant assis sur ce rocher, Sidi Yousef refusa de l’assister. Le sultan fit alors égorger un mouton, puis un taureau, mais en vain. Désespéré, il allait tuer un de ses esclaves quand Sidi Yousef, pour épargner la vie de cet homme, revint sur sa décision.
Sidi Yousef prêta donc son appui au Sultan et l’aida à faire triompher sa cause. En revenant de cette expédition il fut attaqué par un caïd des Aït Attab qui était son ennemi acharné et mis en déroute. Le caïd parvint jusqu’à la zaouïa qu’il fit brûler. Si di Yousef se réfugia dans le Djebel Ghenein. Traqué par ses adversaires, il réunit ses derniers serviteurs et les congédia en leur disant: «Si quelqu’un déclare devant vous que je suis certainement mort, n’allez pas le contredire, mais si un autre affirme que je suis encore vivant, dites avec lui qu’assurément je le suis».
Ces deux versions sont en contradiction avec celle de Rinn et de Depont et Coppolani, d’après laquelle Yousef ben Saïd aurait été tué par Moulay Ismaïl. Ce qui est certain, c’est que jusqu’à présent, on ne connaît pas l’emplacement du tombeau de Sidi Yousef ben Saïd.
Avec ce personnage, les Ahançal disparurent en tant qu’ordre religieux. Leurs Zaouïas furent fermées, la tarîqa Hançaliya est oubliée au Maroc où elle semble avoir été absorbée par les · Derqaoua, et les Ahançal se retranchèrent à Taghia, au tombeau de Dada Saïd. A cet endroit vivaient des descendants de Sidi Ali, le deuxième fils de Sidi El-Hasan Ou Othman. Ils devinrent les Chefs de la Zaouïa et des Ahançal. Les tribus de cette région qui leur avaient toujours été dévouées, formèrent leur fief temporel, et, s’occupant désormais presque uniquement de politique, les Ahançal devinrent semblables aux Amhaouch.
La Tarîqa Hançaliya a été apportée en Algérie par un disciple de Sidi Yousef, Si Sadoun El-Ferdjioui, à la mort de son cheikh. Si l’on admet que Moulay Ismaël. fit tuer Si di Yousef, on peut fixer l’introduction de cet ordre en Algérie à une date un peu antérieure à 1727, année de la mort de Moulay Ismail, sinon l’événement est un peu postérieur.
Sadoun initia le marabout des Telaghma, Si Maammar, qui eut, à son tour, pour disciple, Si Ahmed Ez-Zaouaoui, issu d’une grande famille maraboutique des environs de Constantine. D’après une lettre que m’écrivait de Constantine, au mois d’octobre dernier, le Chérif d’Ouazzan Moulay Ali ben Abdessalam, Ahmed Ez-Zaouaoui n’a pas laissé de postérité et a été remplacé par un de ses disciples Sidi Bei-Qasem. C’est actuellement un des descendants de celui-ci, Sidi Aboud, qui est le chef de la Zaouïa Han~aliya, de Chettaba, où se trouve le tombeau de Sidi Sadoun El Ferdjioui.
Dans la province d’Oran, les Ahançal sont peu nombreux, mais on en compte plusieurs milliers dans le département de Constantine. En 1897, Depont et Coppolani évaluaient le nombre des Khouan à quatre mille deux cent cinquante trois.
Les Hançala Algériens sont populaires et influents ; ils ont conservé la Tarîqa de Sidi Saïd ben Yousef et de Sidi Yousef ben Saïd, les fondateurs de l’ordre. Vivement hostiles aux Turcs qui ne purent s’en débarrasser, ils observent, parait-il, une attitude très correcte vis-à-vis des autorités françaises. Enfin, il y · a aussi des Hançala au Kef, en Tunisie.
Les relations de ces groupes entre eux sont mal connues. Cependant, il est à peu près certain que la zaouïa d’Ahançal du Maroc ne correspond pas avec les Ahançal d’Algérie. En effet, les parents de Sidi M’Ha eux-mêmes, ignorent complètement l’existence d’une confrérie Hançaliya en Algérie.
Après Sidi Yousef Ou Saïd, les descendants de Sidi Ali Ou El-Hasan, établis à Taghia, sur l’ Assif N’ Ahançal, devinrent les chefs de la Zaouïa. Mais, comme nous l’avons vu plus haut, les Ahançal cessèrent d’être un ordre religieux. Le chef de la zaouïa fut désormais un personnage politique investi, par ses origines maraboutiques, d’une (( baraka )) indiscutable.
Il intervint de plus en plus dans les luttes et les querelles des tribus et des (( lefs )). C’est vers lui que se tournaient tous les regards quand la situation politique devenait critique. Les partis opposés s’adressaient à lui et cherchaient à se le rendre favorable et il profita de ces perpétuels désordres pour arbitrer, trancher et pour asseoir d’une façon toujours plus solide, son autorité sur les tribus déjà habituées à obéir à sa famille.
Vers 1850, le chef de la zaouïa d’Ahançal intervint à deux reprises pour réiainstaller les Ait Ougoudid, chassés de leur pays par les Art Attab. Lors du raid de Moulay El-Hasan sur Ouaouizert, il parait bien avoir recommandé aux tribus de son obédience d’observer une neutralité bienveillante à l’égard du Sultan.
La Zaouïa d’ Ahançal est actuellement divisée en deux branches. L’une, dirigée par Sidi M’Ha, a son siège au tombeau de Sidi Said Ou Amer, à Taghia, et exerce une influence considérable sur les tribus du Grand Atlas Oriental riveraines de I’Assif N’Ahançal, et sur quelques tribus de l’Est : l’autre, installée à Askaren  en pays Ait Chokhman, est influente sur une partie des tribus ((chleuh» du Moyen Atlas. Si Hossein Outemga en est le chef.
Sidi M’Ha et Sidi Hossein sont ennemis bien que descendants tous deux de Si Ali Ou El-Hasan, amère petit-fils de Sidi Said Ou Amer.
Il est assez difficile, tout d’abord, de déterminer d’une façon exacte les tribus de l’obédience de ces marabouts. Il n’est pas rare en effet, de voir une tribu subir, à la fois l’influence des deux branches rivales. Aussi, pour serrer de plus près la vérité, est-il absolument indispensable de distinguer les tribus qui élisent leurs ” chioukh el-âam » sous les auspices de l’un de ces marabouts, de celles qui se contentent de lui envoyer la « ziara >>.
Le tableau suivant, dressé d’après les renseignements fournis par les indigènes permettra de se faire une idée de l’influence des << Ahançal >>.
1. – Sidi M’Ha (Zaouïa Hançaliya de Taghia) .
a) Tribus élisant leurs << chioukh el-âam » sous les· auspices de Sidi M’Ha :
Ait Ougoudid, Art Outferkal, Ait Mazigh, Aït M’Hammed,.Ait Bou Guemmez, Imgoun, Aït Oussikis, Ait Bou Iknüen,Ait Isba, la moitié des Art Abdi.
NOTA. – Les Ait Mazigh sont particulièrement dévoués à Sidi Abd ElMMalek, frère ainé de Sidi M’Ha. Sidi Moulay, petit cousin de Sidi M’Ha, exerce son influence sur les Aït Abdi.
b) Tribus lui envoyant la << Ziara ».
Toutes les tribus précédemment citées et les Inguerd (Ait Bou Zid), les  Ikherkhouden (Art Attab), les Aït Ounir de Bernat,les Ait Atta du Quebla et les Ait Abbès.
Ces derniers envoyaient aussi leur « Ziara >> à Sidi. Ahmed Ou ElMAbbas de Taneghmelt, qui avait également quelque influence sur certaines fractions des Ait Bou Guemmez.
Il.- Sidi Hossein Outemga
a)    Tribus élisant leurs « chioukh el âam » sous ses auspices : Ait Atta N’Oumalou, Ait Chokhman, Ait Bou Zid, la moitié des Ait Abdi.

NOTA.- Sidi Hossein présidait également à l’élection du cheikh fouqani du << lef >>Ait Atta N’Oumalou, Ait Chokhman,Ait Isha.

b) Tribus lui envoyant la << Zia ra >>.
Toutes les tribus précédemment citées.
Sidi M’Ha, chef actuel de la Zaouïa d’Ahançal est un personnage politique doué, de par ses origines maraboutiques, d’une baraka indiscutable. Agé de trente ans environ, actif, très intelligent et très fin politique, énergique, il a toujours joué un rôle important, et fut pendant longtemps l’âme de la résistance au Makhzen.
Quand nous sommes arrivés à Marrakech et que nous avons poussé jusqu’à Demnat, Sidi M’Ha a groupé de nombreux contingents et a invité ses gens à marcher contre nous.
En 1916, notre installation à Azilal, en pays Ait Outferkal, posa pour Sidi M’Ha le problème des relations avec le Makhzen. II comprit alors qu’il fallait éviter d’adopter une attitude systématiquement hostile, et, pour ménager l’avenir, il s’abstint de toute manifestation susceptible d’attirer trop vivement notre attention de son côté. Ces efforts tendirent à maintenir ses tribus en « Siba )), sous son commandement, et à conclure des trêves avec nous. Ces trêves furent d’ailleurs scrupuleusement respectées.
En 1918, la colonne de Bou Y abia ne décida pas le marabout à se soumettre- il n’en voyait pas encore la nécessité- et il s’employa activement à faire repartir en dissidence, petit à petit et sans trop de heurts, les fractions Aït M’Hammed qui avaient été soumises de force.
En 1922, ses tribus étant directement menacées, Sidi M’Ha fit les plus grands efforts pour s’opposer à notre avance et rendre intenable notre situation à Bou Yahia, en pays Ait M’Hammed. Cependant. Rapidement convaincu que nous resterions coute que coûte et qu’il était dangereux pour lui de persévérer dans cette tactique, il ne tarda pas à adopter une attitude plus favorable au Makhzen. Une trêve fut conclue et Sidi M’Ha promit sa soumission. Le marabout prit contact avec nous et des  entrevues eurent lieu qui eurent pour résultat de le mettre en confiance. Aussi notre colonne de 1923 opéra-t-elle dans un terrain favorable.
Les irréductibles, abandonnés par leur chef, ne surent que faire et nous occupâmes le pays des Ait Ou Fezza sans résistance appréciable. Enfin, quand notre colonne vint camper à Bou Yahia, le 27 juin, Sidi M’Ha, fidèle à ses promesses, présenta officiellement la soumission des Aït M’Hammed, bientôt suivie de celle des Ait Hakem. Les Ait Mazigh, du versant nord du Djebel Abadine apportèrent une soumission de principe et les AU Bou Iknifen de Talmest nous assurèrent de leurs bonnes intentions à notre égard.
Le 26 septembre 1923, Sidi M’Ha accompagné de délégations d’ Aït M’Hammed, Aït Mazigh, Aït Bou lknifen et Ait Hakem se rendait à Marrakech pour y saluer Sa Majesté le Sultan Moulay Yousef et lui présenter la (( hedia )), C’était la première fois que ces farouches montagnards chleuh faisaient acte de soumission à un Sultan.

Tribus de l’obédience de Sidi M’Ha.- Ait Mazigh du versant nord du Djebel Abadine, Aït M’Hammed Ait Bou Iknifen de Talmest, Aït Hakem (Ait Bou Guemmez).
NoTA. – Sidi M’Ha a aussi une certaine influence sur les Ait Isba, les Aït Abdi, les Ait Oussikis et les Imgoun avec qui il entretenait des relations suivies. Toutes ces tribus lui envoient la << ziara >>,
Les Inguer (Aït Bouzid), les Ait Ounird de Bernat, les Ait Abbès et une partie des Ait Atta du Quebla lui fournissent aussi la << ziara >>,
Les notices de M. le Lieutenant Spillmann se terminent par une généalogie de la famille des Ahançal et par la traduction de l’Ouerd de leur Confrérie.
J’ai pu, grâce à cet excellent travail, vous donner une idée aussi complète que possible des Ahançal, du rôle qu’ils ont joué, de l’influence qu’ils ont exercé. Rien n’est absolu, pas plus au Maroc qu’autre part ; ce n’est pas une raison pour négliger les relativités qui peuvent nous être utiles et faciliter notre tâche. Il est évident que l’influence de Sidi M”Ha Ahançal n’est pas absolue ; mais telle qu’elle est, elle existe, elle nous a été déjà précieuse et continuera certainement à l’être encore, à la condition de ne pas lui demander plus que ce qu’elle peut donner et de ne pas l’exagérer nous-mêmes dans l’espoir de pouvoir nous en servir.

Confréries musulmanes (Archives française)