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Confréries Religieuses au Maroc

 

Lorsqu’on a bien voulu me demander de vous entretenir des Confréries marocaines, j’ai accepté d’enthousiasme parce qu’il s’agit là d’une question qui m’intéresse tout particulièrement depuis bien des années.
D’autre part, en reprenant le sujet, en l’examinant avec plus de soin, j’ai été presque effrayé de son ampleur et de sa diversité;
je me suis rendu compte également, une fois de plus, de tout ce qui me manquait pour pouvoir vous apporter- une étude complète ; heureusement il s’agit moins de vous présenter un travail déjà fait que de vous demander votre concours pour le
faire et de vous exposer simplement le résultat de mes recherches, dans l’espoir de faciliter un peu les vôtres.
Il faudrait que nous pussions arriver, par une collaboration méthodique, à réaliser une oeuvre comme celle qui a été accomplie pour l’Algérie par le commandant Rinn. par Depont et Coppolani, par le colonel Trummelet et par d’autres; pour le Soudan, par M. le Capitaine interprète Marty. Cela n’est pas un travail de quelques semaines; mais si chacun étudie avec soin sa région, le groupement de toutes ces études particulières permettra
de constituer un travail d’ensemble du plus grand intérêt et d’une très grande utilité pour la politique indigène. Je me garderai de me lancer dans une étude de la mystique musulmane,
je risquerais de m’y égarer avec vous sans grand profit. Des maîtres autorisés ont fait cette étude avec l’autorité et la science nécessaires ; sans rappeler tous les remarquables travaux
qui traitent de l’essence même de toutes les religions et de toutes les philosophies, je vous citerai seulement r ouvrage le plus récent qui est également le plus exact et que M. Louis
Massignon a fait paraitre cette année sous le nom trop modeste de « Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane ». M. Massignon n’est certainement pas un inconnu pour vous. Il y a bientôt vingt ans, j’avais le plaisir de le recevoir
à El-Qçar, à son passage pour aller à Fès, lorsqu’il préparait son ouvrage sur le Maroc d’après Léon l’Africain. Tous nous avons eu recours dans nos recherches à ce remarquable travail si précis et si documenté.
Il faut lire les savants travaux de M. Massignon sur la mystique musulmane, tels que l’histoire de la Passion de Halladj, qui disait : << Ana el-Haqq » (je suis la Vérité), c’est-à-dire : je suis Dieu, pour retrouver les véritables origines du soufisme et pour pénétrer les secrets de cette scolastique qui a créé une terminologie spéciale, afin d’essayer d’exprimer par des mots, c’est-à-dire par des matérialités, les sentiments subtils de la
communion exclusivement spirituelle de l’homme avec la divinité.
La langue humaine peut exprimer des idées, même des sentiments : elle devient impuissante quand ces idées ou ces sentiments tendent à dématérialiser complètement l’humanité.
Grâce au travail de M. Massignon, les profanes comme moi arrivent à se rendre compte du désir ardent de détachement des choses de la terre, que la révélation du Livre de Dieu semble avoir excité dans certains esprits dès les premiers siècles de l’hégire. En lisant le magistral exposé de cette étude sur les principes de la mystique musulmane, on ne peut faire autrement que de se demander quel rapport il y a entre cette ·recherche presque maladive de l’idéal divin et les confréries musulmanes telles que nous les voyons fonctionner autour de nous. Cependant, il est hors de doute que c’est bien à ces principes mystiques de l’Orient que remontent nos confréries marocaines. Il ne reste peut-etre plus grand’chose des principes, mais les confréries subsistent et fonctionnent et c’est là ce qui nous intéresse.
Avant d’entreprendre la revue de ces différentes confréries, il peut être utile de jeter un coup d’oeil rapide, d’abord sur la mystique musulmane elle-même, ensuite toute les tribus marocaines, aux différentes époques où les principes de cette mystique y ont été apportés; enfin sur le rôle que l’enseignement de cette mystique a joué dans l’organisme marocain. Ce triple examen nous permettra peut-être de nous rendre compte de l’influence véritable de l’enseignement dont sont issues les Zaouïas et les Confréries qui subsistent encore, ainsi que des déformations que les siècles et la mentalité des populations ont fait subir à cet enseignement.
C’est une vérité bien connue que si les religions modifient les moeurs des peuples, ces moeurs elles-mêmes modifient également les religions ; il est certain que, en dehors du dogme qui est immuable, l’Islam d’Arabie s’est modifié au contact des populations de la Syrie et de la Perse et qu’ils’est modifié encore en pénétrant chez les populations berbères, plus arriérées, plus ignorantes et plus frustes. De même Ja mystique musulmane, née du contact de l’Islam avec des populations déjà préparées à des spéculations intellectuelles, devait se modifier en pénétrant dans les tribus berbères du Maroc, à peine islamisées et dont l’Islam était souvent contaminé de souvenirs idolâtres, sur lesquels s’étaient tant bien que mal superposées des hérésies juives,chrétiennes et même musulmanes. En même temps, nous nous rendrons compte que si le Maroc est aujourd’hui un pays incontestablement musulman, l’Islam orthodoxe ne s’y est pas établi sans efforts ni sans luttes et qu’il a fallu plusieurs siècles pour y réaliser l’unité musulmane.
D’autre part, nous nous rendrons compte également qu’il semblerait que le besoin de particularisme des populations berbères ne pouvant plus se satisfaire du fait de l’unité de la
religion elle-même, s’est manifesté dans la multiplication des Zaouias et des Confréries. Nous verrons que c’est à peu près à l’époque où l’unité religieuse s’établissait, que les premières Zaouïas étaient créées, comme un correctif à cette unité. Enfin, nous constaterons aussi qu’il est permis de croire que ces premières Zaouïas ont souvent été moins des centres d’enseignement mystique que de simples centres d’enseignement religieux, un moyen de répandre et de conserver les principes élémentaires de l’Islam chez les populations d’une religiosité plus matérielle que spéculative. L’esprit plus superstitieux qu’autre chose de ces populations a attribué aux chaikhs des Zaouias des pouvoirs
surnaturels et miraculeux et il en est sorti le culte des saints et les confréries que nous voyons encore aujourd’hui, tandis que l’enseignement mystique était réservé à une petite élite très restreinte qui exerçait son autorité sur la masse.
Sans étudier à fond la mystique, il est cependant nécessaire d’essayer de se rendre compte de la façon dont elle a pu naître du théisme musulman qui semblait maintenir la divinité assez loin en dehors du monde et qui ne paraissait pas autoriser la communion de l’homme avec elle.
Il semble bien que le théisme un peu sec des premiers temps de la révélation, de forme exclusivement sémitique, qui évoquait l’idée d’un Dieu tout puissant dominateur et lointain, suffisait aux Arabes d’Arabie, ignorants et grossiers ; il a sans doute moins satisfait l’esprit, plus cultivé des habitants de la Perse et de la Syrie, qui avait déjà reçu les principes de la mystique des Indes et de la philosophie grecque, sans parler des influences chrétiennes.
Nous ne suivrons pas les discussions des savants pour savoir si la mystique musulmane est née du Coran ou si, au contraire, elle lui est complétement étrangère ; ce qui est certain, c’est que sous J’influence des doctrines mystiques~ le théisme musulman a failli se transformer en un panthéisme absolument opposé au principe même de la révélation ; aussi a-t-on cherché à rattacher la mystique à .ce principe, en lui reconnaissait pour
ainsi dire une révélation particulière. C’est ainsi que l’on fait ofticie11ement remonter les doctrines mystiques à Dieu, par Ali, le Prophète et l’archange Gabriel.
Les mystiques musulmans avaient adopté la dénomination de soufis et la doctrine elle-même s’appelait Eç-Çoufiya, le soufisme. On n’est pas d’accord sur l”étymologie du nom de soufi.: l’opinion la plus accréditée est que le mot vient de souf, laine. parce que les soufis portent des vêtements de laine. Quelques-uns pensent qu’il y a peut-être là un souvenir du grec et que çoufi vient de sophos. Les principes  panthéistes qui ont failli entraîner la mystique musulmane en dehors de la religion révélée peuvent rendre cette étymologie vraisemblable. C’est sans doute à cause de cela même que les mystiques musulmans la rejettent absolument.
Au troisième siècle de l’hégire, les deux . principales Écoles de la Mystique çoufiste en Orient, étaient celles d’Aboul Yazid Taifour El-Bestami et d’ Aboui-Qasim El-Djounard, tous deux d’origine persane. Il faudrait une science que je suis loin de posséder
pour pouvoir développer et expliquer les différences qui séparent les deux Écoles et cela nous conduirait vraiment un peu loin des Confréries marocaines.
Je me contenterai avec Dozy, de dire que Bestami enseignait une doctrine nettement panthéiste, tandis que Djounard, plus prudent, arrivait dans son enseignement à combiner <c la dogmatique musulmane avec un système philosophique diamétralement opposé à l’islamisme.> Il arrivait à ce résultat en conservant la terminologie musulmane, mais en attribuant aux termes consacrés un tout autre sens. Le mot tauhid, par exemple, qui
dans le langage islamique signifie simplement l’unité de Dieu, désigne pout’ies çoufis le principe de l’unité de l’âme et de Dieu, de leur communion, de leur confusion, ce qui est du panthéisme. Enfin, il s’est formé une croyance intermédiaire, basée sur •m panthéisme restreint que l’on pourrait appeler le panthéisme
numérique, c’est-à-dire, que certaines âmes privilégies, seules arrivent à cette communion complète avec Dieu ; mais elles n’y arrivent que par degrés successifs parcourus sous la direction d’un maître.
On peut retrouver là le principe de la baraka, qui est cet état privilégié de l’union avec Dieu, ainsi que celui des chaikhs de confréries, dont la direction prennet seule de parcourir les différentes étapes qui rapprochent de la communion avec la divinité, considérée comme l’idéal à atteindre.
Sans doute, au Maroc, cet idéal parait s’être depuis longtemps alourdi et avoir été remplacé par le désir de se rendre la divinité matériellement favorable par l’intermédiaire des êtres
privilégiés détenteurs de la baraka. Non seulement la divinité semble avoir été replacée de nouveau en dehors et au-dessus du monde, là ou le théisme musulman l’avait placée, mais elle parait être devenue inaccessible sans l’intervention des personnages vivants ou morts qui possèdent la baraka et c’est ainsi que les doctrines çoufiques qui tendaient à diviniser l’homme plutôt qu’à humaniser la divinité, ont fini par aboutir au culte des marabouts, c’est-à-dire à une sorte d’anthropolatrie dans lesquelles l’Islam véritable n’a pas grand chose à voir. Non seulement le pouvoir d’intervention en faveur des musulmans. qui ne doit appartenir qu’au Prophète, paraissait s’être généralisé au profit de tous les détenteurs plus ou moins authentiques de la baraka, mais ces personnages arrivaient à être revêtus
eux-mêmes d’attributs presque divins.
Les musulmans éclairés déplorent ces erreurs et les blâment sans ménagements. « Depuis de longs siécles, dit l’auteur du « Kitab El-lstiqça >,, et surtout à partir du dixième, le xv1e siécle de notre ère, il est apparu dans le Maghreb une· détestable hérésie : des gens se groupent autour d’un chaikh encore vivant, réputé par sa sainteté et ses vertus particulières, ou autour de son tombeau, et lui vouent un véritable culte». L’auteur continue en décrivant avec indignation, les pratiques des membres des confréries, qui, dit-il, au lieu d’invoquer Dieu, invoquent leurs chaikhs et qui célèbrent leur culte impie dans des réunions appelées hadras, où au son des tambours et des ghaïtas, ils se livrent à des danses frénétiques, accompagnées de cris et de hurlements jusqu’à ce que leur excitation se transforme en une torpeur répugnante ·
En un mot, Ahmed Ben Khaled En-Naciri, l’auteur du a Kitab El-Istiqça l>, réprouve violemment ces confréries et leurs pratiques, qu’il considère comme hétérodoxes et où, dit-il, la terminologie technique des çoufis qui s’applique à la connaissance de Dieu est détournée de sa destination vraie pour être appliquée non seulement au culte des saints qui ne sont que des hommes, mais même à celui des démons; c’est.ainsi que le mot de hadra, emprunté à l’expression technique du çoufisme Hadrat Allah, présence de Dieu, est employé par les membres de ces confréries pour désigner les réunions où sont invoquées des puissances surnaturelles plus ou moins démoniaques et tout à fait étrangères au çoufisme et à l’Islam lui-même.
Nous trouvons dans cette opinion d’un historien musulman contemporain (Ahmed ben Khaled En-Naciri est mort en 1897) non seulement la preuve que les confréries et leurs pratiques ne sont pas toujours d’accord avec l’orthodoxie mosulma De,  mais surtout la preuve beaucoup plus importante pour nous que ces confréries, malgré les déformations subies par le temps et plus encore par la nature même des populations marocaines, procèdent réellement des doctrines çoufiques qui ont apparu dans l’Islam en Orient vers Je ne siècle de l’hégire.
Au point de vue politique, je dirai presque au point de vue administratif, je trouve dans ce chapitre de l’Istiqça une remarque bien intéressante: < Cet état d’esprit, (causé par les confréries) dit Ahmed En-Naciri, dégénéra en particularisme et la communauté musulmane se morcela ; chaque pays, chaque .. bourg compte un certain nombre de confréries ». Il ne faut pas oublier que l’auteur de l’ lstiqça était non seulement un historien, mais qu’il appartenait au monde du Makhzen et qu’il a été un des premiers qui aient eu, si l’on peut dire, le sens du nationalisme marocain. Très bon musulman, il déplorait cependant le particularisme des tribus qui causent l’obstruction et, quoique
descendant lui-même du fondateur de la Zaouia Naciriya de Tamegrout, dans la Drâa, il était l’ennemi des confréries, d’abord parce que leurs pratiques ne sont pas conformes aux prescriptions de l’Islam et plus encore peut-être parce qu’elles empêchent l’unité marocaine, qu’elles créent en un mot cette compartimentation (vous excuserez ce barbarisme) que tous les administrateurs marocains connaissent bien et dont l’ancien Makhzen savait d’ailleurs si bien tirer profit.
A propos de cette compartimentation, une grave question se pose et, en préparant ce que je voulais vous dire, je me suis trouvé en face de la vieille difficulté qu’il y a souvent à distinguer l’effet de la cause.
Le Maroc s’est-il compartimenté, comme semble le croire Ahmed En~Naciri, du fait de ses nombreuses confréries, ou, au contraire, l’enseignement çouftque venu d’Orient a-t-il contribué à la formation d’un grand nombre de Zaouias et de Confréries parce qu’il a trouvé au Maroc un terrain favorable à cette division, en un mot parce qu’il a trouvé le pays déjà compartimenté. Cette question nous amène tout naturellement à la deuxième partie de notre sujet, l’étude du terrain .
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Il faudrait refaire toute l’histoire du Maroc pour retrouver les origines des populations qui l’habitent aujourd’hui ou plutôt pour se convaincre une fois de plus de l’impossibilité de retrouver ces origines.
Les anciens appelaient Lybiens les populations blanches de l’Afrique du Nord, par opposition aux Ethiopiens, populations noires ; les savants modernes leur ont ajouté les Aryens blonds aux yeux bleus, Kymris et Celtes venus du Nord qui auraient eux-mêmes poussé devant eux les Ibères de l’Espagne vers 1600 avant Jésus-Christ. Tout cela est bien légendaire et tout ce que r on peut dire avec une quasi certitude, c’est que le Maroc, par sa situation à l’angle nord-ouest de l’Afrique, a forcément conservé les peuples qui l’ont envahi à différentes époques impossibles à préciser et que ces peuples s’y sont établis, selon leurs forces respectives et selon leurs moeurs.
Je crois inutile de vous donner la liste des noms de tribus cités par Strabon, Pomponius Mela, Ptoléméé, Pline et d’autres. On a pensé pouvoir retrouver dans les noms modernes des souvenirs des dénominations anciennes : on a rapproché les modernes lmazighen des anciens Mazices, les Berghouata des Bacauates, les Miknesa des Macanitae, les Guezoula des Goetuli, etc •.. Tout est possible, mais il est certain, d’une part, que les anciens ont dû terriblement déformer les noms des peuplades marocaines et que d’autre part, il ont pu souvent attribuer à ces peuplades des noms arbitraires tirés de certaines particularités et dont ils se servaient pour les désigner dans l’ignorance où ils étaient de leurs noms véritables. A une époque plus rapprochée, Ibn Khaldoun a fait des tribus de l’Mrique du Nord une magistrale étude. Je ne referai pas ici l’histoire des Botr et des Branès ni de leur nombreuses ramifications. Les anciens groupements se sont modifiés avec le temps et les principaux que l’on retrouve aujourd’hui sont:
1 o Les Maçmouda ou Mçamda, considérés comme autochtones et dont le nom est lui-même presque oublié pour être remplacé par ceux de ses fractions : Doukkala,Haskoura, Regraga, etc., etc;
2° Les Ghomara qui sont eux-mêmes une grande fraction des Maçmouda : ils occupaient et occupent encore la plus grande partie du Nord du Maroc;
3° Les Cenhadja qui semblent être venus du Sud à diverses époques, dès les temps les plus reculés. Lorsque les Cenhadja Lemtouna, qui ont fondé la dynastie Almoravide, ont pénétré au Maroc au onzième siècle, ils y ont trouvé des Cenhadja déjà installés depuis longtemps ;
4° Les Zenata, qui paraissent être venus de l’Est, également par poussées successives, mais probablement plus tard que les premiers Cenhadja.
La confusion que l on constate dans un historien aussi documenté que l’était Ibn Kaldoun, peut donner une idée de celle qui existait effectivement dans le pays parmi toutes ces populations d’origines diverses, dont beaucoup étaient nomades, qui se disputaient les pâturages, les sources, le voisinage des cours d’eau et dont les sédentaires se disputaient également les meilleures terres, les plus faciles à cultiver.
A ces causes de divisions, s’ajoutaient les différences d’origines les différences de religion, les rivalités de toutes sortes entre les divers éléments, sous l’impulsion de chefs avides d’autorité et de rapines.
Ni les Phéniciens, ni les Carthaginois ni même les Romains, n’ont cherché à mettre de l’ordre dans cette confusion. Ils ont tiré du pays ce qu’ils ont pu, s’occupant des produits beaucoup plus que des habitants et dans les régions où les .dominations romaine et byzantine se sont exercées directement, il semble que les indigènes étaient réduits à un état voisin de la servitude. sounûs aux plus dures corvées et aux charges les plus écrasantes.
Aussi, lorsque vers 680, Oqba ben Naft’ apporta l’Islam au Maroc pour la première fois, la religion nouvelle fût-elle acceptée tomme une délivrance par les populations les plus faibles et, par conséquent les plus écrasées d’impôts. La profession de foi islamique leur donnait à la fois l’indépendance et la propriété de leurs terres: elle se trouvaient incorporées à la communauté musulmane, n’avaient plus à payer que la Zakat et l’Achouret, de plus, en se joignant aux bandes arabes d’Oqba, elles avaient leur part dans le butin prelévé sur les tribus plus puissantes et qui résistaient. En effet, toutes les tribus n’avaient pas également accepté la religion nouvelle, et comme cela arrive encore aujourd’hui, ceux qui profitaient de l’ancien état de choses tenaient à le conserver : de là, de nouvelles divisions dans les populations berbères, dont les unes se convertissaient à l’Islam, tandis que les
autres résistaient à l’envahisseur arabe.
Les compétitions des chefs arabes entre eux, telles que celle d’Oqba et d’Aboul’-Mohadjir, contribuaient d’ailleurs à augmenter encore la division des tribus berbères.
On sait que la maladresse d’Oqba, vis-à-vis du chef berbère Koceila El-Aourabi qui s’était converti sous le gouvernement d’About Mohadjir, provoqua un soulèvement des berbères et qu’Oqba fut massacré avec tous ses compagnons vers 683.
Je passe la révolte de la Kâhina et sa mort, l’arrivée du deuxième conquérant arabe Mousa ben Noceir et son passage en Espagne en 710, pour arriver au gouvernement d’Omar ben
Abdallah El-Moradi, dont les agissements mirent sérieusement en danger l’existence de l’Islam orthodoxe au Maroc. Sous le règne d’Omar ben Abdelaziz, de 718 à 720, les conversions à l’Islam augmentèrent, grâce aux ordres donnés par le calife lui-même. Avant lui, des gouverneurs refusaient souvent d’accepter les conversions, préférant percevoir sur les populations demeurées infidèles, de lourds tributs, tels que la Djazia et le Kharâdj, plutôt que d’être obligés de se contenter de la Zakat et de rAchour des nouveaux musulmans. Omar ben Abdelaziz s’efforça de modifier ces errements: <<Je préfère, disait-il, la conversion d’un seul infidèle à tous les trésors du monde ». Mais Omar ben Abdelazizne régna que deux ans et les abus ne tardèrent pas à reprendre. Omar EI-Moradi, nommé gouverneur du Maroc en 734, résolut d’appliquer aux musulmans eux-mêmes les charges qui avaient été réservées jusque-là à ceux qui avaient refusé se se convertir : il voulut, par exemple, continuer à prélever sur les berbères convertis le quint sur la population: c’est-à-dire que le cinquième des habitants d’une ville ou d’une tribu étaient considérés comme esclaves du calife.
Les berbères, qui malgré leur grand amour de l’indépendance et leur haine de toute autorité étrangère, avaient accepté assez volontiers les principes égalitaires et équitables de la loi musulmane, se révoltèrent en 740, sous la conduite de Meïçara ElMdaghri. Ce berbère était converti à l’Islam, mais il appartenait à la secte Kharedjite des Çoufrites.
Il nous faut pour retrouver l’origine de cette secte, revenir de quelques années en arrière et retourner un peu en Orient.
Lors des luttes qui se produisirent pour la succession du calife Othman ben Affan entre Ali, gendre du Prophète, et Mouaouia, un grand nombre de musulmans résolurent de  repousser les deux prétendants et déclarèrent que le calife serait élu par le suffrage universel des musulmans, même en dehors de la tribu de Qoreich. On les appela les  kharedjites, c’est~à-dire ceux qui sortent de l’obéissance.
Battus par AU à la bataille de Nahrawan en 658, les Kharedjites se dispersèrent et répandirent leur hérésie en Arabie, en Perse, en Mésopotamie et en Afrique. Les doctrines kharedjites, qui permettaient aux berbères convertis de rester musulmans tout en repoussant l’autorité étrangère du calife, furent accueillies par eux avec enthousiasme. Le kharejisme lui-même se divisa en de nombreuses branches, dont les trois principales, au Maroc, furent celles ces Ibadites, disciples d’Abdallah ben Ibad ; des Çoufrites, disciples de Ziyad ben El~Açfar et des Ouacilites, disciples d’Abou Hodeifa Ouacil ben EI-Ghazzal. Les lbadites du Maroc devinrent en grande partie plus tard des Rostemides qui disparurent eux-mêmes à la fin du dix-huitième siècle et se cllspersèrent. On a voulu retrouver les !ba dites dans les Beda doua et dans les Zekkara qui se rattachent aujourd’hui à Sidi Ahmed ben Yousef El-Miliani. Il ne semble pas rester de traces des Çoufrites, ou tout au moins je n’en ai pas retrouvé; quant aux Ouacilites, le seul souvenir que j’ai pu en constater est le tombeau de Sidi Ouacil, au sud de Safi, dans un village où se trouve .aujourd’hui une zaouïa de Chorfa d’Ouezzan.
Il est évident que ce tombeau n’est pas celui de Abou Hodeifa ben Ata, qui sans doute n’est jamais venu au Maroc ; mais il y a certainement là un souvenir de la secte Kharedjite des Ouacilites.
L’effort des Kharedjites au Maroc tendait à renverser l’autorité des califes et à rétablir l’indépendance berbère. Les abus de pouvoir d’Omar El-Moradi, lieutenant pour le Maroc d’Obeid Allah El-Habhad, gouverneur de l’Hriqia au nom du calife Hiham ben Abdelmalek furent l’occasion d’un soulèvement général des berbères. Meïçara EI-Khafir EI-Mdaghri qui, ainsi que nous venons de le voir, dirigeait le soulèvement, fut proclamé calife par les berbères.
Quelques années plus tard, en 757, le çoufrite Aisa ben Yazid fondait le royaume de Sidjilmassa.
Ces quelques exemples suffisent à montrer que l’Islam, en arrivant n’a pas trouvé un pays formant un tout compact et, qu’il n’a pas réussi immédiatement à y établir l’unité politique,
ni même 1 ‘unité religieuse.
Cependant, même les Kharedjites, qu’ils fussent Ibadites, Çoufrites, ou Ouacilites, étaient des musulmans plus ou moins orthodoxes peut-être, mais musulmans quand même.
L’autorité des califes de Bagdad était sans doute écartée, mais l’Islam arrivait à dominer.
C’est alors que l’hérésie prit une forme beaucoup plus grave. Les kharedjites s’étaient contentés de vouloir un calüe berbère, mais ils admettaient le dogme musulman et le principe de la révélation arabe.
Parmi les chefs kharedjites qui avaint combattu sous les ordres de Meïçara se trouvait un Berbère converti du nom de Tarü El-Berghouati. On dit que c’est le même qui avait passé le premier en Andalousie par l’ordre de Mousa ben Noceir. Quoiqu’il en soit, Çalih, le fils de Tarif, qui était également musulman kharedjite résolut de berbériser le principe même de la révélation, d’opposer à Mohammed le prophète arabe, un prophète berbère et il déclara qu’il était lui-même ce prophète. Il fonda vers 125 de l’hégire, 742 de notre ère, la religion et le royaume des Berghouata. D ne saurait y avoir, semble-t-il, d’exemple plus frappant de la tendance des Berbères à tout nationaliser à leur profit.
On trouve des renseignements précieux sur les Berghouata dans le savant article de M. René Basset dans l’Encyclopédie de l’Islam.
Leur royaume s’étendait, dit-on, le long] de l’Océan, de Safi à Salé, et devait pénétrer à une certaine profondeur dans l’intérieur du pays.
Il parait très probable que l’influence des Berghouata, c’està-dire la berbérisalion du principe religieux et du gouvernement, à du s’étendre sur une grande partie du Maroc et que les limites qui sont habituellement attribuées à leur territoire sont celles dans lesquelles ils ont été progressivement confinés aux cours des luttes qu’ils ont eu à soutenir contre les Cenhadja vassaux des Fatimides, contre les Beni Ifren et très certainement contre les ldrisites, quoique les auteurs arabes n’en parlent pas.
Il peut être, en eflet, intéressant de remarquer que Moulay Idris, arrivé, comme on le sait, pour fuir les Abbasides, en 788 est considéré généralement comme en ayant terminé l’islamisation du Maroc ; sans doute il a contribué à cette islamisation, mais il ne ra certainement pas achevée et on ne sait rien des relations qu’il a dû avoir avec les Berghouata, dont l’existence a continué parallèlement à celle des Idrisites.
Les tribus berbères du Maroc qui n’avaient suivi ni les doctrines Kharedjites ni l’hérésie des Berghouata, accueillirent avec joie Moulay Idris, dont la présence parmi eux leur permettait de conserver leur indépendance vis-à-vis des calües d’Orient, tout en obéissant à un descendant du Prophète. D’autre part, un fait subsiste, c’est que malgré la présence de ce descendant du Prophète, l’unité religieuse du Maroc ne s’est pas accomplie. Sans parler des sectes kharedjites, qui ont continué à subsister, les Berghouata, qui. constituaient plus qu’une hérésie, mais une véritable religion, établie sur une autre révélation que celle de Mohammed, se sont perpétués pendant les dynasti!!s des Idrisites, des Miknasa, des  Meghraoua, des Beni Ifren, des Almoravides et n’ont complétement disparu que sous les premiers Almohades
En 1508 ils battaient et tuaient, sur l’oued Qoritla, Abdallah ben Yasin, le fondateur de la dynastie Almoravide: ils firent subir le même sort à son successeur Soliman ben Addou. Ce n’est qu’un siècle plus tard, vers 1150, qu’ils furent complétement battus et dispersés par l’ Almohade AbdeiDioumen ben Ali. après avoir duré plus de quatre siècles.
A propos des Berghouata et pour nous reposer de l’aridité de cet exposé, je voudrais vous raconter l’histoire des Regraga, autres berbères Maçmouda que l’on retrouve encore aujourd’hui dans les Chiadma, sur l’oued Chichaoua, au sud de Tensüt.
Une légende rapportée par plusieurs auteurs arabes, raconte que du vivant du Prophète et même avant l’hégire, un Regragui, Sidi Ouasmin, se serait rendu à la Mecque, qu’il y aurait
rencontré l’Envoyé de Dieu qui lui aurait parlé en berbère, qu’il se serait fait musulman et que ce serait lui qui aurait rapporté l’Islam au Maroc. La légende a d’ailleurs des variantes: l’une dit qu’il y avait deux Regraga, et l’autre, qu’ils étaient sept.  Es-Seba Ridjal Er-Regraga.
La légende a pris une telle consistance que les savants ont discuté pour savoir si les Regraga faisaient ou non partie des Çimaba, des Compagnons du Prophète.
Cette singulière histoire, d’après laquelle des Berbères du Sud Marocain seraient allés à la Mecque avant la fuite à Médine et en auraient rapporté l’Islam, m’avait souvent intrigué. Présentée telle qu’elle l’est, elle n’était guère vraisemblable et je me demandais quel événement réel pouvait bien se cacher sous cette légende. Le faux prophète des Berghouata m’a suggéré une explication que je vous soumets : le voyage en Orient d’un Regragui ou de plusieurs Regraga au commencement du septième siècle de notre ère, ne me semble pas probable. Le prophète Mohammed parlant berbère me paratt peu croyable. Je me suis demandé si le prophète dont il s’agit n’était pas simplement Çalih ben Tarif, et j’avoue que je trouve plus vraisemblable des Regraga habitant à l’oued Chichaoua, ayant entendu parler d’une religion nouvelle apportée par Oqba et par Mousa, qui l’avait imposée par la force, apprenant, d”autre part, quelques années après, qu’un prophète se trouvait dans la Tamesna,qu’il était l’envoyé de Dieu et qu’il enseignait le Coran, se soient rendus chez ce prophète un peu par curiosité, beaucoup par prudence, préférant aller chercher la religion nouvelle que de laisser pénétrer chez eux les convertisseurs.
Cela expliquerait le voyage d’abord, qui est évidemment plus admissible de l’oued Chichaoua à la Tamesna que jusqu’en Arabie ; cela expliquerait également le prophète parlant le berbère qui était la langue de Çalih ben Tarif.
Plus tard on a arrangé les choses: i1 faut d’ailleurs remarquer que les auteurs. arabes passent le plus possible sous silence tout ce qui touche aux Berghouata ; l’importance considérable de ce mouvement berbère qui tendait tout simplement à accaparer le principe de la révélation au profit d’un berbère, et qui apparaît, malgré les restrictions ou plus exactement malgré les réductions voulues des auteurs arabes, peut donner une idée de ce que devait être réellement ce mouvement.
Une tentative analogue mais de beaucoup moindre envergure a été faite également au dixième siècle de notre ère par le faux prophète Hamim, dans les Ghomara. Cette prétention à la Prophétie semble avoir été asseZ répandue et on en retrouve encore un exemple au treizième siècle : Mohammed ben Abou ElTaouadjin, l’assassin de Moulay Abdessalam ben Mechich, voulut aussi se faire passer pour prophète et fut tué dans les environs de Ceuta.
D’après cet exposé trop long quoique bien incomplet, on peut arriver à se représenter à peu près la situation religieuse du Maroc  vers le cinquième siècle de l’hégire, le onzième siècle de notre ère.
L’Islam avait bien pénétré le pays: il n’y avait plus de chrétiens, plus d’idolâtres : quelques juifs seuls avaient conservé leur religion en se soumettant au tribus ; mais, d’autre part,cet islam n’était pas absolument orthodoxe partout et ne devait pas être très profond chez des populations qui, pour la plus grande partie, ne· savaient pas l’arabe. Cette ignorance de l’arabe se constate d’ailleurs encore aujourd”hui chez de nombreuses tribus du Grand, du Moyen et de l’Anti Atlas et dans le Rif.
Les gens instruits, ceux qui voulaient arriver à une certitude _ religieuse, au milieu de tous les schismes et de toutes les hérésies qui corrompaient la pureté du dogme, semblent être allés en Orient pour y trouver un enseignement sur, de façon à pouvoir eux-mêmes le répandre.
On ne peut s’empêcher d’être frappé, en essayant de reconstituer cette période de l’histoire religieuse du Maroc, de la facilité avec laquelle à cette époque, les gens voyageaient d’Occident en Orient et réciproquement, poussés par ce besoin de chercher la Vérité et de la faire connartre. 11 y a là une sorte de contradiction entre les sentiments nationalistes de la masse berbère et l’effort de quelques personnalités à aller chercher la lumière en
Orient. Il est résulté de cette contradiction l’espèce de culte local dont ont été entourés les chaikhs qui ont répandu dans les tribus l’enseignement religieux.
Ces tribus ont fait leurs les chaikhs vivants et leurs tombeaux et les ont absorbés pour ainsi dire dans leur particularisme. D’autre part, les plus importants de ces centres religieux ont
eu un rayonnement qui s’est étendu au loin, quelquefois sur le Maroc tout entier et même plus loin. On retrouve là l’origine des Zaouïas qui se sont formées autour d’un chaikh d’abord, de son tombeau ensuite. Quelques-unes de ces Zaouias sont devenues de simples marabouts locaux, d’autres sont devenus des lieux de pèlerinage d’un rayonnement plus ou moins considérable, d’autres enfin ont été le point de départ de Confréries, dont quelques-unes ont diparu et dont d’autres, au contraire, ont grandi et ont créé des Zaouïas secondaires qui souvent elles-mêmes se sont affranchies de la tutelle de la Zaouia primitive.
Nous verrons plus tard que presque toutes les Confréries qui existent actue1lement au Maroc sont postérieures au dixième siècle de l’hégire, c’est-à-dire au seizième siècle. Auparavant nous pouvons essayer de reconstituer la formation des premières Zaouias.
Nous avons vu que vers le onzième siècle, c’est~a-dire au cinquième siècle de l’hégire, l’islamisation du Maroc était loin d’être faite: aux schismes, aux hérésies s’ajoutait la question des rites. Les quatre rites orthodoxes actuels : malékite, hanafite, hanbalite et chaféite, datent du deuxième siècle de l’hégire. D’autres rites existaient précédemment et les musulmans d’Andalousie et du Maroc suivaient le rite Ouzai, qui n’existe plus. Le rite malékite a été introduit au Maroc au commencement du troisième siècle de l’hégire par Yahia ben Yahia ben Koutheir ben Ouislas, berbère des Meçmouda de Tanger, dont  l’arrièregrand père Outlas avait été converti à l’Islam par Yazid ben Abou Amir El-Leithi, des Arabes Kinanal’ et ses descendants, quoique berbères, portaient de ee fait l’ethnique arabe ElLeithi. Permettez-moi d’ouvrir une paranthèse pour rappeler qu’il existe encore aujourd’hui entre Tanger et Tétouan, une tribu des Djebala, qui porte le nom arabe de Beni Leith, ce qui permet de supposer qu’elle se compose des descendants de berbères Meçmouda convertis à l’Islam du temps d’Oqba, par des Arabes Beni Leith Kinana. Cet exemple peut être intéressant pour établir que l’ethnique d’un homme ou d’une tribu n’est pas toujours une preuve de sa véritable origine. Revenons au Berbère Meçmoudi Yahia ben Yahia El-Leitbi qui était au deuxième siècle de l’hégire un des principaux docteurs d’Andalousie. Il a fait deux fois le voyage de la Mecque pour recevoir l’enseignement de Malek lui même et il a introduit au Maroc le rite malékite qui avait prévalu dans toute l’Andalousie.
Mais au milieu des luttes entre les Fatimides d’Égypte, les Abhasides de Bagdad et les Omeiyades d’Andalousie qui avaient les uns et les autres des partisans berbères au Maroc, l’unité de rite n’était pas facile à établir, d’autant plus que les schismes et les hérésies n’avaient pas encore disparu. Ce n’est donc que progressivement que le rite malékite arrivait à pénétrer et cette nouvelle complication de rites s’ajoutant à toutes les autres était une raison de plus qui poussait les gens désireux de s’instruite, à aller vers l’Orient, d’où venait l’Islam, pour savoir exactement où était cette Vérité qu’ils voulaient connaitre.
Je serais embarrassé pour vous citer les noms de tous ceux qui ont fait ce voyage et cela nous mènerait vraiment nous-mêmes un peu trop loin. Dans le nombre je choisis un savant de Fès, Abou Imran Mousa ben Aisa qui, vers la fin du quatrième siècle de l’hégire se rendit d’abord à Kairouan, puis à Bagdad. Après avoir suivi dans cette ville les cours de plusieurs maîtres, il revint s’établir à Kairouan où il enseigna le rite malékite et la mystique de l’École de Djounaïd.
Il reçut vers 428 de l’hégire, 1037 de notre ère, la visite d’un roi des Cenhadja, Yahia ben Ibrahim El-Guedali, qui revenait de faire le pélerinage de la Mecque.
Les Cenhadja, qu’il gouvernait,. habitaient au sud de l’oued Noun, dans la région de Saqiat -el-Hamra. On dit qu’ils avaient été convertis à l’Islam par Oqba, c’est-à-dire au premier siècle de l’hégire. Quoiqu’il en soit, leur islamisation était des plus superficielle et ils connaissaient à peine la profession de foi musulmane i ils ne savaient ni le Coran ni aucune des prescriptions religieuses.
Yahia ben Ibrahim n’en savait guère davantage et demanda à Abou lmran de lui donner un de ses disciples, qui l’accompagnerait dans son pays pour faire l’éducation religieuse de son
peuple. Aucun des disciples n’ayant consenti à faire ce voyage, Abou Imran donna à Y abia ben Ibrahim une lettre par un de ses anciens élèves, Ouagag ben Zaloua El-Lamti, également Cenbadji, qui avait créé un centre d’enseignement religieux dans le pays de Nefis, sous le nom de Dar El-Mourabilin, littéralement la maison des marabouts.
Vous savez que les mots ribat, mourabit, dont nous avons fait Rabat, marabout et Almoravide, peuvent se prendre dans plusieurs sens : un ribat est en même temps un centre religieux et une forteresse, et des mourabitin sont aussi bien des gens liés par un lien spirituel qu’astreints à défendre et à propager par la force les doctrines de leurs chaikhs. On peut faire cette observation que les premières Zaouias ont été appelées des ribats et on peut en déduire que ces premiers établisements religieux, un peu comme nos couvents des premiers siècles en France. étaient de véritables forteresses, par ce qu’ils se trouvaient placés dans le voisinage de populations hostiles contre lesquelles ils pouvaient être appelés à se défendre. Cela correspond bien à l’état dans lequel se trouvaient encore au point de vue religieux les populations du Maroc et cela confirme ce que je vous disais en commençant, que les premières Zaouias étaient plutôt des centres de simple enseignement religieux, habités par des gens capables d’apprendre et même quelquefois d’imposer aux Berbères les pratiques de J’Islam. Il ne s’agissait pas encore d’enseignement mystique ni de confréries, mais d’enseignement musulman dans le but de constituer une seule confrérie qui était la communauté musulmane.
Mais il faut revenir au Sultan des Cenhadja, Yahia ben Ibrahim El-Guedali. Il alla donc trouver, à Dar EI-Mourabitin, dans le pays de Nefis, Ouagag ben Zaloua avec la lettre du chaikh Abou lmran Mousa El-Fasi de Kairouan. Ouagag lui donna un de ses disciples, Abd~lah ben Yasin. Vous connaissez ce personnage, qui est le fondateur de la dynastie des Almoravides et nous voici en face de ce fait historique que la première grande dynastie berbère du Maroc a eu son point de départ dans une des Zaouias ofl se donnait au cinquième siècle de l’hégire l’enseignement musulman orthodoxe. Après avoir converti les Cenhadja,non sans peine et une partie du Soudan, Abdallah ben Yasin et ses Almoravides s’emparèrent du pays du Dràa et de Sidjilmassa ; ils pénètrèrent ensuite dans le Sous et chez les Maçmouda et prirent Taraudant et Aghmat. Partout ils obligèrent les hérétiques
qui se trouvaient encore dans ces régions à embrasser la vraie fQi. Il faut remarquer que parmi ces tribus se trouve celle des Regraga, ce qui semble bien confirmer la supposition
que j’émettais tout à l’heure, que ce n’est pas le vrai Prophète que les Regraga, avaient rencontré quelques siècles auparavant, mais Çalih ben Tarif, le prophète des Berghouata, -Abdallah ben Yasin, attaqua également les Berghouata, mais il fut battu et tué et la lutte continua pendant toute la dynastie almoravide. Les Berghouata, bien affaiblis, résistèrent cependant et ne furent détruits que sous la dynastie des Almohades, par Abdelmoumen
ben Ali, vers le milieu du sixième siècle de l’hégire.
Il est évidemment tout à fait impossible de reconstituer exactement tous les conflits d’influence et toutes les luttes locales qui ont pu se produire. Contentons-nous, dans la mesure du possible, de retrouver les Zaouias au milieu d’événements historiques que nous ne connaissons eux-mêmes que très imparfaitement.
L’avénement de la dynastie almoravide constitue incontestablement une poussée de Cenhadja allant du sud au nord et cette . poussée a été ·produite par un mouvement religieux orthodoxe, parti de la Zaouïa de Dar El-Mourabitin, contre les tribus mal islamisées ou schismatiques. Mais il y avait déjà des Cenhadja au Maroc avant l’arrivée des Almoravides. Il y en avait entre autres le long de l’Océan, depuis Salé jusqu’au . sud de Safi ; on en trouvait au ribat des Oulad Amghar Ce~adja à Titçon en trouvait encore près d’Azemmour, au ribat de Moulay Bouehaib, qui était également cenhadji. On a l’impression que ces ribats formaient une série de· citadelles avancées, qui pénétraient dans le pays des Berghouata et dans les tribus schismatiques.Les chefs de ces ribats n’étaient d’ailleurs pas exclusivement cenhadja ; on trouve, en effet, le ribat Asfi, fondé au sixième siècle de l’hégire par Abou Mohammed Çalih El-Maguiri, des Beni Maguir qui sont considérés comme Maçmouda. On trouve également dès le sixième siècle le Ribat Chakir, qui existe encore  et dont le fondateur était Regragui.
D’autre part, les chaikhs de Ribats et de Zaouias n’étaient pas toujours d’accord avec les sultans almoravides.
Comme cela s’est produit quelques siècles plus tard avec les Saadiens, les Almoravides, une fois anivés au pouvoir, ont du chercher à se débarrasser des cbaikhs sur lesquels ils s’étaient appuyés pour y parvenir. Ceci n’est pas exclusivement de l’histoire marocaine. On cite à ce propos l’anecdote d’Iqallan ben Omar, un cbaikh de Mouchtarala, en Doukkala, que le gouverneur  de Marrakech, sous le règne d’Ali ben Yousef ben Tachefin, avait chassé de la ville en le menaçant de le tuer et de le crucifier.
A la même époque, Moulay Boucbaib, quoique cenhadji, a eu des difficultés avec le caid d’Azemmour et ne s’en est tiré qu’en faisant un miracle. On peut en conclure que le Dar ElMourabitin fondé par Ouagag ben Zaloua et d’où était sorti Abdallah ben Yasin, le chaikh des Almoravides, n’était pas le ·seul centre d’enseignement religieux et qu’il y en a eu d’autres parallèles, telles que les Zoualas d’Abou Innour ben Ouakris El-Mouehtarat, vulgairement Sidi ben Nour, et de son disciple Abou Choatb Ayyoub ben Said, vulgairement Moulay Bouchaib, le patron d’Azemmour. celle de Çalih ben Hirzihim, vulgairement Harazem, à Fès, qui avait été disciple en Orient de l’iinam Abou Hamid El-Ghazali. I:.a doctrine raisonnée_ teintée de philosophie, que Ghazali avait emprunté à El-Achari n’était pas d’accord avec l’application pute et simple du texte de la loi, qui
faisait la base de l’enseignement des Almoravides.
Pour essayer de résumer cette époque, qui est certainement une des plus obscures de l’histoire du Maroc. tant au point de vue religieux qu’au point de vue politique. on peut dire que les Almoravides avaient pour seul but d’islamiser les tribus ignorantes et schismatiques et qu’ils ont trouvé dans ces tribus quelques centres religieux d’une culture plus avancée que renseignement qu’ils venaient apporter eux-mêmes.
Conformément aux doctrines de Malik, les Almoravides imposaient la croyance pure et simple aux versets du Coran, sans aucune interprétation. Les ehaikhs procédant de Ghazali admettaient au contraire rinterprétation. On connatt les controverses que soulevèrent cette question, surtout en Andalousie, où les doctrines de Ghazali furent condamnées par les foqaha et ses ouvrages brùlés ; il en fut de même au Maroc, où l’enseignement des  doctrines de Ghazali fut interdit par les Almoravides. ~ependant cet enseignement existait et les doctrines d’ElAchari, fixées et pour ainsi dire codifiées par Ghazali, commençaient,
comme nous l’avons vu, à se répandre au Maroc; elles ont été exploitées contre les Almoravides par un disciple de Ghazali, Mohammed ben Toumart, de la tribu d’Hargha, fraction des Maçmouda.
Mohammed Ibn Toumart, qui s’était rendu compte du parti que l’on pouvait tirer d’un enseignement .religieux habilement présenté, qui avait pu apprécier, d’autre part, le mécontentement que les procédés des Almoravides causaient non seulement chez les Maçmouda traités en vaincus, mais également chez certains chaikhs Cenhadja persécutés pour leurs doctrines, résolut de s’appuyer sur ces doctrines pour débarrasser les Maçmouda, ses compatriotes, du joug des Ceuhadja et pour imposer son autorité avec !”appui des ehaikhs procédant de Ghazali et des doctrines d’EI-Achari.
Il serait trop long de développer les principes des doctrines d’Ibn Toumart et cela nous éloignerait d’ailleurs de notre sujet. On peut dire, d’une façon générale, que la doctrine musulmane d’Abdallah ben Yasin et des Almoravides était plus conforme au théisme des premiers temps de l’Islam, tandis qu’Ibn Toumart, conformément aux doctrines d’El-Achari, tenait le juste milieu entre la grossièreté des anciennes traditions et la philosophie spéculative qui avait failli faire tomber rlslam dans le panthéisme.
Persécuté par les Almoravides, Ibn Toumart s’établit près de Marrakech, à Tin Mal, dans la montagne qui domine l’oued Nefis. 11 y fonda un ribat où il groupa ses partisans dont le nombre augmentait chaque jour et, en 541 de l’hégire son successeur  Abdelmoumen ben Ali s’emparait de Marrakech.
On peut retrouver la preuve de ses relations avec les chaikhs de l’école de Ghazali par ce fait, que Moulay Bouchaïb, le patron d’Azemmour, qui cependant était Cenhadji, comme les Almoravides, vint à Marrakech aussitôt après la prise de la ville par les Almohades.
Les doctrines d’Ibn Toumart, avaient pour base runité de Dieu, le Tauhid, d’où ses partisans ont pris le nom d’El Moutahidoun, les Unitaires, les Almohades.
Pour la masse, il s’agissait de l’unité de Dieu opposée à tout autre culte plus ou moins entaché d’idolatrie ; pour les savants, c’était l’unité de Dieu opposée aux tendances panthéistes que le mysticisme avait fait naitre.
Il est assez intéressant de constater certaines ressemblances, entre les procédés d’Ibn Toumart et ceux de Çalih ben Tarif. Je prophète des Berghouata.
Pour frapper l’imagination des Berbères et établir son autorité en augmentant sOD prestige, Ibn Toumart a dta, lui aussi, user de procédés parfois hétérodoxes et qui pouvaient avoir une forme presque schismatique. Sans doute, il n•est pas allé aussi loin que Çalib ben Tarif qui avait fondé une religion dont il s’était déclaré le prophète, mais il se fit passer pour l’Imam El-Mahdi, annoncé par les hadita, ce qui était une supercherie ·et s’il ne fabriqua pas un nouveau Coran, comme le propête des Bergb.ouata, il Répandit son livre du Tauhid, écrit en berbère, et ce livre·â été longtemps pour les tribus comme les Tables de la Loi.
Afin de rallier à lui les populations, Ibn Toumart usa de tous les moyens ; il simula des miracles et satisfit les appétits de ses partisans en déclarant que les Almoravides étaient des infidèles, qu’il était licite de leur faire la guerre sainte, de tuer les hommes, de réduire les femmes et les enfants en esclavage et de confisquer leurs biens. La superstition et le fanatisme d’une part, la rapacité de l’autre. ne tardèrent pas à augmenter considérablement
le nombre de ses partisans. C’est d’ailleurs toujours la même méthode ; elle avait été employée par les Almoravides; elle l’a été souvent depuis et tous les aventuriers s’en sont servis, avec plus ou moins de succès, selon les époques et les circonstances.
Commencé sous le prétexte d’une réforme religieuse, le soulèvement d’Ibn Toumart fut le point de départ de la fondation d’une dyn9stie qui gouverna pendant plus d’un siècle l’Andalousie d’une part et en Mrique, de Gabès à l’oued Noun.
Il semble que les quelques prescriptions d’Ibn Toumart qui pouvaient parattre entachée d’hérésie aient disparu avec lui. Il a eu comme successeur Abdelmoumen ben Ali, un Zenète qu’il avait rencontré près de Tiemcen en revenant d’Orient; sous son règne les Berghouata furent complètement· détruits et l’Islam orthodoxe définitivement établi dans tout le Maroc. Le rite malékite, imposé par les Almoravides, a survécu, c’est lui qui est encore pratiqué au Maroc aujourd’hui et les doctrines provenant de l’école de Ghazali paraissent avec les doctrines çoufiques, s’être réfugiées· dans les zaouias.
Nous venons de voir que deux grandes dynasties berbères, l’une celle des Cenhadja, l’autre celle des Meçmouda, ont pris naissance dans des Zaouias. Ainsi que je vous le disais, l’enseignement des Zaouias n’était certainement pas le même pour tous: les études de la théologie et de la mystique musulmane.
Il arrive d”ailleurs souvent, au Maroc comme tout autre part. que le promoteur d’un mouvement se trouve entrafné beaucoup plus loin qu’il n’aurait voulu, par ce mouvement lui-même. C’est l’histoire de la plupart des révolutions. Il est bien rare qu’une révolution ait été conçue par son auteur dans les proportions exactes qu’elle a atteintes. Tantôt, et c’est ce qui arrive Je plus souvent, son effort n’a qu”une portée locale et ne donne aucun résultat ; tantôt, au contraire, cet effort individuel se trouve correspondre à un état d”esprit général et les résultats dépassent alors de beaucoup les prévisions et les ambitions primitives.
On retrouve encore aujourd’hui le souvenir de quelques-unes des premières Zaouias connues dont les confréries ont complètement disparu. Nous nous en occuperons, si vous le voulez bien, une autre fois. J’ai voulu aujourd’hui essayer seulement, au milieu de la confusion historique, de retrouver avec vous l’origine de l’enseignement des Zaouias et les déformations que cet enseignement avait forcément éprouvées du fait du milieu et du niveau intellectuel des populations.
A présent que nous pouvons voir à peu près le point de départ et le point d’arrivée il nous sera plus-facile d’aborder dans quelques jours l’étude des Zaouias et des confréries elles-mêmes.
Ce qui rend particulièrement difficile l’exposé des choses musulmanes en général et des choses marocaines en particulier, e’est l’obligation de traiter avec clarté des choses souvent confuses et que, tout en recherchant la précision il ne faut pas cependant donner à ses lecteurs ou à ses auditeurs le sentiment d’une elassification de forme administrative qui n’existe pas dans la réalité.
En ce qui concerne les Zaouias et les Confréries, il y a encore une autre difficulté, c’est le côté légendaire, le merveilleux, disons le mot, l’incroyable, qui semble être la base de tout ce maraboutisme. Cela, d’ailleurs, n’est pas spécial aux choses musulmanes : supprimez les miracles de la Légende dorée et le mysticisme, poussé jusqu’à la vision, de la vie de sainte Thérèse ou de· celle de saint François d’Assise, il ne restera plus grand chose.
Si vous le voulez bien, nous respecterons donc les légendes sous lesquelles, d’ailleurs se cache toujours une part de vérité, et nous croirons aux miracles sans chercher à les expliquer. Il y a bien des choses qui n’existent que par la croyance des hommes en ces choses, que par la foi. Nous n’avons pas à discuter le bien ou le mal fondé de cette croyance et cette de foi, mais à en constater les eftets et à tâchèr de retrouver l’organisation des confréries religieuses qui en sont issues. Il nous importe peu de savoir si les confréries et leurs manifestations sont absolument conformes aux principes musulmans; à défaut d’orthodoxie absolue, elles ont une force traditionnelle incontestable. C’est un fait et il y a là un agent actif de r organisme même du pays dont on doit bien tenir compte et qu’il faut essayer de connaltre dans la mesure du possible.
Pour y arriver, il nous faut procéder à une sorte de classement qui nous permettra de mettre un peu d’ordre dans nos recherches. Nous avons vu que les doctrines qui ont servi à l’établissement des premières Zaouias venaient d’Orient et que ces doctrines procédaient de l’enseignement de Djounald, qui vivait au III siècle de l’hégire.
Cet enseignement n’est pas parvenu au Maroc par une seule voie, et les voies diverses qu’il a suivies n’ont pas toujours été parallèles. li arrive souvent, en effet, que plusieurs disciples ont eu un même maitre et, d’autre part, qu’un même disciple a eu plusieurs chaikhs.
II serait évidemment impossible de suivre toutes les mailles de ce filet d’enseignement qui enveloppe, non seulement le Maroc, mais le monde musulman tout entier.
Nous devrons nous contenter de suivre les lignes principales. Sans entrer dans les détails, résumons d’abord les différentes périodes de cet enseignement.
Dès la fin du Ive siécle de l’hégire, nous trouvons dans le Sous la Zaouia de Dar El-Mourabitin, dirigée par Ouaggag ben Zaloua el Lamti Eç-Cenhadji. A la même époque existait également le Ribat de Tit,au sud d’Azemmour, occupé par d’autres Cenhadja, les Oulad Amghar, dont nous reparlerons tout à l’heure. D semble bien que les Oulad Amghar avaient créé une sorte de confrérie, une taifa, les Cenhadjiyoun, ou Amghariyoun.
Au VIe siècle, outre le Ribat de Tinmal, d’où sont sortis les Almohades, on trouve la confrérie des Chouabiyoun, fondée par Abou Choualb Ayoub ben Saïd Eç-Cenhadji, vulgairement Moulay hou Chalb, le patron d’Azemmour.
Le principal disciple de Moulay Bouchaib a été Abou Y azza lalennour, vulgairement Moulay Bouazza, qui a eu lui-même la visite au Djebel Aroudjan, d’un personnaee universellement connu, le fameux chaikh Abou Median Chouarb, connu surtout sous le nom de Sidi bou Median El-Ghaout, qui a son tombeau à El-Eubbad, près de Tlemcen.
Sidi bou Median avait été à la Mecque disciple du grand chaikh Moulay Abdelqader El-Djilani de Bagdad, et il est certainement un de ceux qui ont apporté au Maroc ses doctrines, qui constituent le Qadirisme, la Tariqa Qadiriya.
Moulay Abdelqader est encore aujourd’hui un des saints les plus populaires et vous l’avez bien souvent entendu invoquer par les mendiants: la Moulay Abdelqader, Soultan Eç-Çalihin. (0 Moulay Abdelqader, sultan des saints, etc … ) Ackhoun iatini
noufç khobza lillah, ala Moulay Abdelqader El-Djilani? (Qui me donnera la moitié d’un pain pour Dieu, par la grâce de Moulay Abdelqader El-Djilani ?)
Sidi Bou Median a été également à Fès disciple d’Ali ben Hirzihim, qui lui a enseigné les doctrines de Ghazzali, dont son oncle Çalih ben Hirzihim avait été lui-même le disciple en Orient. On a vu que les doctrines de Ghazzali, condamnées en Andalousie par les Almoravides, avaient également été apportées au Maroc par Ibn Toumart, le fondateur des Almohades.
D’autre part, Sidi Bou Median est un des deux chaikhs de Moulay Abdessalam ben Mechich ; l’autre est Sidi Abderrahman El-Madani Ez-Ziat et Moulay Abdessalam lui-même est le chaikh de Chadili, le fondateur du Chadilisme, la Tariqa Chadiliya.
Cette Tariqa a été rénovée au IXe siècle de l’hégire, xve siècle de notre ère, principalement par Mohammed ben Sliman El-Djezouli, ainsi que nous le verrons plus loin.
Nous pouvons donc partager l’histoire des zaouias et des confréries en quatre périodes:
1 e De Djounaid à Sidi Bou Median et à Moulay Abdelqader , du Ille au ;ave siècle de l’hégire (J.-C. 1xe au xue) ;
20 De Bou Median à Chadili, qui occupe le VIIe siècle (J .-C. XIIIe) ;
3o De Chadili à Djazouli, du VIIe au IX• siècle (J.·C. XIIIe au XVe);
40 De Djazouli à nos jours, du IXe au XIV• siècle {J.-C. XVe au XXe).
Toutes les confréries marocaines, depuis le xue siècle de notre ère se partagent aux deux Tariqas.
La Tariqa Qadiriya et la Tariqa Chadiliya, qui, depuis le XVIe siècle, est souvent appelée Tariqa Djazouliya.
A présent que ce classement est fait et que nous voyons à peu _près où nous allons, nous pouvons examiner avec plus de détails les principales Zaouïas de ces quatre périodes. Les deux seules confréries de la première période que j’ai pu reconstituer jusqu’à présent sont celles des Amghariyoun à Tit et des Chaouibiyoun à Azemmour. La taïfa des Amghariyoun a aujourd’hui disparu comme confrérie organisée, mais on en retrouve des Zaouïas à Tit, à Tameçlouht, à Saïs en Doukkala, à Bzou, etc.
Il est bien difficile, dans l’histoire du Ribat de Tit, comme dans la plupart de toutes ces histoires, de faire exactement la part de la légende et de savoir où se trouve la vérité. D’après des renseignements recueillis à Tit même, le Ribat aurait été fondé par Ali ben Abdallah ben Idris. D’autre part, d’après la généalogie des Oulad Amghar donnée par la Salouat El-Anfas, ils descendraient bien d’Abdallah ben Idris, mais le fils d’Abdallah, qui
serait leur ancêtre, se serait appelé Aboul’-Qasim, il ne se trouve pas un seul Ali dans cette généalogie, et le premier des Oulad Amghar connu serait Moulay Ismail, grand-père d’Abou Abdallah Mohammed El-Kebir, enterré à Tit. Un autre auteur, Abdelbadhim
Ez-Zem.iD.ouri, donne une version différente : D’après lui, deux chorfa, Moulay Abdallah et Moulay Ismaïl, se seraient enfuis du Maroc à Djedda. Le Prophète leur apparut en songe
et leur ordonna de revenir au Maghreb. lls arrivèrent, dit le texte, à Ain El-Fithr, qui estTit, aubord dela mer et y trouvèrent des Cenhadja, dont le sultan était l’Émir Mohammed ben Said Eç-Cenhadji. Ayant appris qui ils étaient, cet Émir donna sa fille en mariage à Moulay Abdallah, qui lui succéda après sa mort. On ne peut s’empêcher de faire un rapprochement entre cette histoire et celle de Moulay Idris arrivant à Oualili et épousant la fille du chef berbère de la contrée, qui, selon les auteurs, s’appelait Abdelmedjid, ou Ishaq El-Aourabi. La généalogie donnée par Zemmouri ne ressemble en rien à celle donnée par la Salouat, mais il s’y trouve un Ali ben Abdallah ben Idris, et c’est probablement la source des renseignements donnés par les gens de Tit. Lorsque j’y ai été pour la première fois il y a plusieurs années, à toutes les questions que je posais, on me répondait toujours en me renvoyant à l’ouvrage d’Abdelhadhim, dont on semblait faire grand cas. Je me suis enfin souvenu que Zemmouri, que j’avais lu depuis longtemps, s’appelait Abdelhadim.
Les enquêtes sont d’ailleurs toujours malaisées : si les informateurs sont illettrés, ils ne connaissent que les traditions orales, ! ‘ souvent déformées; s’ils sont instruits, ils répètent ce qu’ils  ont lu et plus particulièrement ce qui, dans ces lectures, peut flatter leur vanité. D’une façon générale, tous les gens que l’on interroge sont chorfa et trouvent toujours moyen de raccrocher leur généalogie à Moulay Idris d’une façon quelconque. C’est ainsi que les auteurs eux-mêmes, quand ils ne se copient pas les uns les autres, ne sont pas toujours d’accord sur les généalogies des personnages dont ils parlent, comme c’est le cas pour la Salouat et l’ouvrage de Zemmouri, relativement aux Oulad Amghar. Nous aurons l’ccasion de traiter plus spécialement cette question de la prétention au chérifat, que l’on peut appeler le chérifisme, en nous occupant des Zaouïas et des Confréries de la quatrième période, c’est-à-dire de cel1es issues de Djazouli: vous vous rappelez que cette période s’étend du xe siècle de l’hégire, le xv1e siècle de notre ère, jusqu’aujourd’hui. C’est,
en effet, à partir du xe siècle, c’est-à-dire de l’avénement de la dynastie chérifienne des Saadiens que le chérifisme semble s’être développé au Maroc, et c’est de cette époque que date cette floraison d’ouvrages hagiographiques, Daouhat En-Nachir, Nachr El-Mathani, Mirat EI-Mahasin, Momatti El-Asma, ect. ect., qui semblent s’attacher particulièrement . à doter de généalogies chérifiennes tous les chaikhs qui, de près ou de loin, procèdent de
l’enseignement des doctrines de Djazouli. Quelques manuscrits antérieurs au xe siècle, tels que le Tachaouj, de Tadili, le Maqçad, de Badisi, l’Ouns ou lns E-Faqir, d’Ibn Qanfoud, sont moins prodigues de généalogies chérifiennes et sont peut-être plus près de la vérité.
Je m’attarde un peu aux Oulad Amghar pour vous donner une idée des confusions voulues ou provenant d’erreurs de transmissions ou de copies que l’on est exposé à rencontrer dans ses recherches jai trouvé réunies par hasard, à propos de cette famille, je ne dirai pas toutes les confusions possibles, mais cependant un nombre assez respectable de contradictions pour que l’on puisse en faire un exemple.
Nous avons vu que, d’après les renseignements oraux, Tit aurait été fondée par le chérif Ali ben Abdallah ben Idris ; la généalogie donnée par la Salouat El-Anfas ne comporte aucun
Ali, mais un Aboul’ -Qasim ben Abdallah ben Idris ; d’autre part, la généalogie donnée par Zemmouri parle d’un Ali ben Abdallah ben Idris. Le Tachaouf, manuscrit antérieur au xe
siècle, ne parle pas de l’origine chérifienne des Oulad Amghar: il dit simplement qu’ils sont Cenhadja.
Le personnage principal enterré à Tit à côté de la mosquée  est connu généralement sous le nom de Moulay Abdallah ; la Salouat et le Tachaouf l’appellent Abou Abdallah Mohammed,
fils d’Abou Djafa,, tandis que Zemmouri l’appelle Abdallah ben Abdelkhalik. D’après le Tachaouf, c•est un des fils d’Abou Abdallah, qui s’appelait, non pas Abdelkhalik, mais Abou Abdelkhalik Abdelhadim. Zemmouri, dans la crainte sans doute d’en oublier, confond les noms corroboratüs avec les noms eux-mêmes, les ascendants avec les descendants, et i1 cite dans les ancêtres d’Abou Abdallah Mohammed, qu’il appelle Moulay Abdallah un Abdelkhalik et un Abdelhadim. La confusion va même encore plus loin et, quoique cela soit un peu fastidieux, il peut être intéressant de la suixre jusqu’au bout.
Quand on arrive à Tit, la première qoubba que l’on trouve est celle de Moulay Ismail ; certains pensent que son vrai nom était Abou lsmall Ishaq : c’est le grand-père d’Abou Abdallah Mohammed que l’on appel1e Moulay Abdallah. Autour du minaret, se trouvent les tombeaux de Moulay Abdallah, de son père, Sidi Djafar d’après les uns, Abou Djafar Ishaq d’après les autres, et de son fils, Abou Abdelkhaliq Abdeladhim, que l’on appelle Moulay Abdelkhalik. Plus loin, on voit la qoubba d’un autre fils de Moulay Abdallah~ connu sous le nom de Sidi Yaqoub  et qui s’appelle en réalité Abou Yaqoub Yousef; c’est donc toujours la confusion du nom corroboratif avec le nom; cette confusion est très fréquente et cause de nombreuses erreurs.
En résumé, on peut aniver à cette conclusion que le patron de Tit s’appelait Abou Abdallah Mohammed ben Abou Djafar ben Ismail. Il est appelé : Rais el-Taifa eç-Cenhadjiya, le chef de la confrérie des Cenhadja.
Mais il y a mieux: à l’est de la zaouia de Tit, dans l’enceinte de la ville, on voit un autre minaret, décapité, appelé naturellement Çoumâa el-Meguerdja. Ce serait le tombeau d’un Sidi Ali ben Qasem, qui auraitconstruit ce minaret. Nous voilà donc revenus aux renseignements oraux du commencement, d’après lesquels la zaouia de Tit aurait été fondée par un personnage du nom d’Ali; mais les renseignements oraux, d’accord avec Zemmouri, ajoutent que cet Ali était fils d’Abdallah ben Idris; d’autre part, comme nous l’avons vu, la Salouat ne parle d’aucun Ali  dans la généalogie des Oulad Amghar et parle d’un Qasem ben Abdallah ben Idris. La tradition n’a pas été embarrassée pour si peu de chose, elle a appelé le constructeur du vieux minaret, Ali ben Qasem ben Abdallah ben Idris, de façon à mettre tout le monde d’accord, et elle a placé le tombeau de Qasem du côté
de Marrakech. La même tradition rattache Sidi Ali ben Qasem aux chorfa Qouasma, qui sont très nombreux en Doukkala, dit qu’il est l’ancêtre de Sidi lsmaïl, vulgairement Smaïn, qui se trouve sur la route de Mazagan à Marrakech et raconte que Sidi Smaïn était disciple du fameux Émir de guerre Sainte,-Mohammed El-Ayachi, ce qui est bien possible. Tout cela tiendrait à peu près, malgré les variantes et les confusions, et il n’y a rien d’invraisembable à ce que les Qouasma soient cousins des Oulad Amghar ; mais d’autres renseignements oraux, également pris sur place, font d’Ali ben Qasem ou de son père Qasem, on n’est pas bien sûr, un disciple de Djazouli, qui est mort en 870 de l’hégire, c’est-àdire à la fin du xve siècle de notre ère, tandis qu’Ali ben Qasem ben Abdallah ben Idris ne pouvait vivre qu’avant l’an 1000. Il y a donc là un écart de près de cinq siècles qui peut donner à réfléchir sur la valeur de la tradition, d’une part, et qui, d’autre part, indique bien cette préoccupation de rattacher la personne dont on s’occupe à un personnage religieux important, soit par l’origine, soir par l’enseignement. Les dates ont pour cette tradition locale une importance médiocre et l’exactitude historique pas· davantage. Moulay Idris considéré comme le grand convertisseur du Maroc, ou Djazouli le grand réformateur, peu importe à la tradition. D’ailleurs. les Oulad Amghar ont joué un rôle dans l”histoire de Djazouli, et nous verrons prochainement que le professeur, le chaikh de Djazouli était un autre Abdallah Amgbar de Tit, appelé Moulay Abdallah Eç-Ceghir ou El-Açghar, le Petit, ou le Jeune, pour le dist inguer de son ancêtre Moulay Abdallah El-Kebir.
Il serait évidemment bien difficile de trouver la vérité au milieu de toutes les contradictions et de toutes les invraisemblances que je viens de vous exposer trop longuement. Il est, à mon avis, très probable que les Oulad Amghar de Tit ne descendent pas de Moulay Idris, et que ce sont des Cenhadja, venus, comme nous l’avons vu déjà, s’établir à Tit, où ils ont fondé un ribat, avant l’arrivée des Almoravides. C’était une de ces cidadelles avancées de l’Islam dont je vous parlais dernièrement, qui défendait la religion orthodoxe contre les différènts schismes .et contre l’hérésie des Berghouata. TI m’a été impossible de retrouver la chaine d’enseignement des Oulad Amghar, des Amghariyoun; par contre, on parle d’un Adelaziz ben Bettal Eç-Cenhadji, qui, à la fin du Ive siècle de lthégire, aurait été disciple d’ Ismaïl Amghar, grand-père de Moulay Abdallah. Cet Abdelaziz est enterré à Tikni, dont les ruines existent encore à une heure de Mazagan.
Pour nous reposer un peu de toute cette inextricable confusion, permettez-moi de vous raconter une petite aventure qui m’est arrivée à mon dernier voyage à Tit, l’année dernière. J’y étais
allé en automobile et après une bonne journée passée avec les tolba, qui s’intitulent les hajaïd de Moulay Abdallah, c’est-à-dire ses gardiens, j’étais remonté en voiture et je rentrais, quand en
passant devant la qoubba de Moulay Ismaïl, qui est en dehors · de l’enceinte en ruines de la ville, des femmes qui s’y trouvaient nous firent signe d’arrêrer. Arrivées près de nous, ces femmes demandèrent très gentiment à mon chauffeur, qui est musulman, l’autorisation pour deux d’entre elles, les plus jeunes, de passer sous la voiture. J’avais pensé qu’il s’agissait de transporter une ou plusieurs de ces dames à Mazagan, qui est à une douzaine de -kilomètres, mais ni mon chauffeur ni moi ne nous attendions à cette extraordinaire ~emande de passer sous une auto. J’ai, bien entendu, donnef l’autorisation demandée, d’autant que les femmes étaient jolies, et j’avoue même que je suis descendu de voiture un peu pour ne pas laisser des femmes passer sous mes pieds, ce qui aurait été désagréable à ma vieille galanterie et aussi un peu pour voir ce qui allait se passer. J’avais heureusement une voiture un peu haut sur pattes, pour la piste ; cependant elle était encore assez près du sol, et les dames ne paraissaient pas trop fluettes.
Les femmes sont en général plus souples que nous, celles-là, l’étaient remarquablement :sans trop d’efforts, sans être ridicules, les deax jeunes dames se sont, rune après rautre, glissées sous la voiture et sont ressorties de l’autre côté: cela s’est fait gaîment avec quelques petits cris et beaucoup de rires ; c’était tout à fait drôle. Très heureuses du succès de leur entreprise, ces dames nous ont beaucoup remercié et ont absolument voulu donner un peu d’argent à mon chauffeur, qui s’en défendait; il a dû accepter, parce qu’elles lui ont expliqué que c’était : El-Fath’ – que l’on appelle vulgairement El-Ftouh -, c’est-.à dire la condition nécessaire pour obtenir ue grâce demandée ; il faut en effet toujours donner quelque chose, soit une petite somme d’argent. soit une bougie, au saint dont on demande rintervention. Ma voiture était donc devenue marabout, et mon chauffeur son moqaddem. Jusque-là ne n’avais rien dit ou à peu près; j’ai demandé alors à ces dames, comme remerciement, de m’expliquer quelle était la faveur qu’elles voulaient obtenir en passant sous l’auto. Elles ont beaucoup ri, même un peu rougi mais, rassurées sans doute par ma barbe blanche, elles m’ont expliqué que c’était pour se débarrasser des sorts qu’on leur avait jetés et qui les empêchaient d’avoir des enfants; fai ajouté: • qu’elles seraient satisfaites par la grâce et la. puissance de Dieu •. ce . qui a paru leur faire plaisir, et nous nous sommes quittés enchantés les .uns des autres. En roulant sur la piste qui me ramenait  à Mazagan, je· réfléchissais à cette manifestation extraordinaire de croyance superstitueuse. Une automobile n’est évidemment pas un objet pouvant évoquer l’idée d’un .culte quelconque  et il n’est pas douteux que ·cette innovation d’origine étrangère, bruyante, mal odorante, qui écrase la volaille, les moutons et les chiens et parfois même les gens, n”ait été souvent l’objet de toutes les malédictions. à son adresse et à celle de ceux qu’èlle portait; par quel phénomène cette maudite machine était-elle pourvue d’un pouvoir surnaturel et bienfaisant. supérieur même à celui de Moulay Abdallah et des Ridjal Tit, dont les qoubbas vénérées étaient à quelques pas .de nous ? L”endroit même où s•était passé cette amusante petite scène avait aussi son importance; nous étions en etlet en vue d”un des sanctuaires les plus vénérés, notseulement des DoukkaJa. mais de tout le Maroc, et ce n”est pas aux Oulad Amghar, mais à la vilaine machine infidèle que s”adressait la naiveté populaire. Il serait évidemment impossible de reconstituer tout le travail qui a bien pu se faire dans ces têtes de femmes et le raisonnement proprement dit ne devait pas y avoir une grande part. On pourrait peut-être trouver des mots très savants pour expliquer scientifiquement ce phénomène psychologique. J”ai pensé simplement que ces femmes considéraient la force magique qui faisait marcher l’automobile comme supérieure à celle des sorts qu”on leur avait jetês·et que, peut-être, elles voyaient dans cette machine rapide une force active de réalisation, une véritable force créatrice qui devait l’emporter sur la stérilité. Quoi qu”il en soit, ce petit exemple peut donner une idée de la croyance instinctive au. merveilleux des populations marocaines. On peut bien avoir foi dans· les marabouts~ quand on croit aux vertus bienfaisantes d’une automobile, et vraiment on ne peut pas dire qu’il s’agisse là de croyances traditionnelles.
Mais nous avons fait comme ces dames. nous avons abandonné M~ûlày Abdallah Amghar. n était·contem.poraln d’Abou Choaib, MoUlay bou: Chalb ‘d~ A2emmour, qui était également Cenhadji, qui est mort en 561′ de l’hégire, c’est-à-dire~ sous le régne de l’Almohàde  Abdelmoumen ben Ali. Nous avons vu déjà qu’après avoir eu des  difficultés a  Azemmour  avec le gouvemement des Almoravides, Bou Cbaib s’était rendu à Marrakech en 541 aussitôt que la ville fut prise par les Almohades. Dans sa jeunesse, il avait enseigné le Coran à la qariat d’Ilsqaoun, dans le pays de Mouchtaraia ; cette bourgade se trouvait non loin du souq
actuel du Tleta de Sidi ben Nour, de son vrai ·nom Abou Innour Abdallah ben Ouakris El-Mouchtaraï, qui y est enterré et qui était le professeur de Moulay bou Chaïb. Je n’ai pas pu retrouver la chaine d’enseignement de Moulay Abdallah de Tit, mais celle de Moulay Bouchaïb peut se reconstituer : il était disciple de Sidi ben Nour, qui avait reçu l’enseignement d’Abou Mohammed Abdjelil ben Ouïdjlan . d’Aghmat, et cet enseignement remonte jusquu’à Djounaid par Aboul Fald El-Djouhari, Abou Bachr, son père, Abou Bekr Ed-Dainouri, et Aboul-Hosein Ahmed En-Nouri, qui était disciple de Djounaid.
Moulay Bouchaib avait fondé la confrérie des Chouaïbiyoun, qui est. la deuxième de celles que j’ai pu retrouver dans la première période, c’est-à-dire entre Djounaïd et Bou Median.
On peut suivre en partie la .marche. de l’enseignement des doctrines .professées par Bou Chaib. Il l’a reçu d’Abou Ynnour EIMouchtarai,. disciple d’Abou Mohammed Abdaldjelil ben Ouidjlan,
qui habitait Aghmat, près de Marrakech et Abdeldjelil, avait rapporté lui-même ces doctrines d’Orient, où il avait reçu les leçons d’Abou) Fadl Abdallah EI-Djouhari, au ve siècle de l’hégire. Abdeldjalil ben Ouidjlan était donc contemporain de Ouaggag ben Zaloua, d’Abdallah ben Yasin et des premiers Almoravides. Les· doctrines de Djouhari étaient à la même époque apportées à Fès par Abou Djebel Yala, qui avait été son disciple, au Caire et qui est mort à Fès en 503.
On retrouve, dans ces quelques exemples, la tendance des chaickhs du Maghreb à aller en Orient pour en rapporter la Vérité. et le voyage d’Abou Djebel Yala, qui était boucher à Fès, est
une preuve que. ce mouvement n’était pas spécial aux chaikhs du Sud. Cependant, la recherche des doctrines de l’Orient semble avoir été plus active particulièrement dans la région d’Aghmat.
Outre Abdeldjalil ben Ouidjlan, que nous venons de voir, on trouve à Aghmat, où il est mort en 485 de l’hégire, Mohammed ben Sadoun El-Qairaouani, qui avait apporté de la Mecque les
ouvrages d’Abou Bekr-El Matou’i sur le çoufisme ; on y trouve également à la même date Abdelaziz Et-Tounsi, qui avait été à Qairouan disciple d’Abou Imran El-Fasi. avec, Zaloua ben
Ouaggag, le fondateur de Dar El-Mourabitin. D’après les noms de ces deux derniers personnages, El-Qairaouaniet Et-Tounsi, on peut même se rendre compte que, non seulement les gens du Maghreb se rendaient en Orient, mais que les chaikhs étrangers venaient au Maroc apporter leur enseignement.: On retrouve d’ailleurs souvent le nom . d’ Aghmat dans l’histoire des chaikhs çoufis, et il est certain que cette ville, qui existe encore. ttès diminuée, non loin de Marrakech, a été jadis un centre considérable d’enseignement.
Parmi les disciples de Moulay Bouchaïb, il en est un qui doit particulièrement attirer notre attention, d’abord parce que c’est vraiment un personnage tout à fajt remarquable et extraordinaire et ensuite parce qu’il a eu lui-même, si ce n’est pour disciple, au moins pour visiteur, le fameux Abou Median, qui est un des principaux liens qui rattachent les deux grandes Écoles. les deux Tariqas du Maroc. la Tariqa Qadiriya et la Tariqa Chadiliya.
Avant de nous occuper de lui, je voudrais vous parler un peu de Moulay bou Azza, ~ont le tombeau, situé entre les Zaïan et le Tadla, est encore aujourd’hui très vénéré et un lieu de pèlerinage très fréquenté. Il y a également à Fès une zazouia de Moulay bou Azza àu quartier de Blidah.
Il s’appelait Abou Yazza lalennour ; mais les textes ne sont pas d’accord sur les noms de ses ascendants: ils disent, les uns, ben Mimoun ben Abdallah, les autres ben Abdallah ben Mimoun, ou ben Abderrahman ben Mimoun, ou ben Abderrahman ben Boubeker : il y en a même qui continuent tranquillement sa généalogie jusqu’à Moulay Idris. Malgré cette tendance à en faire un chérif, Bou Azza était un berbère originaire d’Haskoura ou plus probablement d’Hazmir en Doukkala : il y a même cela de remarquable qu’il ne savait pas l’arabe et qu’il se servait d’un interprète pour s’entretenir avec les gens de langue arabe qui venaient le visiter. Cette ignorance de l’arabe permet de supposer d’abord que son cbaikh lui-même, Moulay Bouchalb, devait savoir le berbère et que rarabe était beaucoup moins répandu dans cette région qu’il ne l’est aujourd’hui ; ensuite que l’enseignement mystique et même simplement musulman de Moulay Bou Azza devait être assez élémentaire. Cependant, il avait de son vivant une réputation considérable de sainteté et, aujourd’hui encore, il est considéré comme un des personnages religieux les plus importants du Maroc. D’après ses nombreux biographes, c’était un ascète, qui se nourrissait exclusivement d’herbes et de racines ; il domptait les lions, qui étaient nombreux dans la contrée, et il avait le don de faire des miracles et de connattre les pensées cachées de ceux qu’il rencontrait. On peut en conclure qu’il est plus célèbre comme thaumaturge, comme personnage remarquable par sa sainteté et par les miracles qu’il a accomplis que par ses connaissances et par sa science mystique : c’était plutôt un illuminé qu’un savant.
Quand on regarde dans son ensemble le développement, je ne dirai pas des confréries, mais simplement du prestige religieux au Maroc, on a le sentiment que vers le vte siècle de l’hégire ce
prestige a paru chercher à se centraliser en la personne de Moulay Bou Azza et à nationaliser pour ainsi dire en lui la personnalité orientale de Moulay Abdelqader El-Djilani, qui vivait à la même époque à Bagdad et dont les doctrines commençaient à se répandre et à s•amrmer au Maroc. Sidi Bou Median, qui est un de ceux qui ont apporté au Maroc les doctrines de Moulay’ Adbelqader, a été, non pas à proprement parler le disciple de, Moulay bou Azza. qui n’était pas un chaikh, puisqu•n ne savait même’ pas rarabe. mais il a cru devoir aller lui rendre hommage et recevoir de lui une sorte de consécration qui lui était nécessaire, à lui Andalou, c’est-à-dire étranger, pour donner à lui-même et à l’enseignement qu’il professait une sorte de naturalisation. Il y a cela de tout à fait particulier, que Moulay Bou Azza a été célèbre déjà pendant sa vie et qu’il l’est resté moins cependant, semble t-il, qu’il ne l’était autrefois, tandis que Moulay Abdessalam ben Mechich. le grand saint du Djebel Alem, qui vivait à la même
époque, était de son vivant parfaitement inconnu et qu’on n’a commencé à parler de lui que longtemps après sa mort. Les auteurs presque contemporains de ces deux personnages ne parlent que de Moulay Bou Azza. Léon l’Africain lui-même, dans son chapitre sur les villes de la Tamesna, parle de Taghia, qu’il appelle Thagia, oh il a été en pèlerinage à Sidi Bou Azza; en parlant de la tribu des Beni Arous, il ne parle pas du tout de Moulay Abdessalam, dont la réputation est cependant aujourd’hui beaucoup plus grande.
La légende se rencontre d’une façon assez amusante à propos de ces trois personnages : Moulay Abdelqader de Bagdad, Moulay Bou Azza de Taghia et Moulay Abdessalam du Djebel Alem. D’après cette légende, Moulay Bou Azza faisait des saguias pour arroser son jardin : une main invisible détruisait son travail et l’eau se dispersait : C’est Moulay Abdelqader qui s’amuse, dit-il, et il frappa l’eau d’un coup de sa bêche de telle façon que des gouttes d’eau allèrent mouiller le papier sur lequel Moulay Abdelqader écrivait. à Bagdad. On retrouve à peu près
la même légende avec Moulay Abdesselam enfant, qui, du Djebel Alem, troublait l’eau des ablutions de Moulay Abdelqader à Bagdad, à tel point que Moulay Abdelqader vint au Djebel
Alem pour demander aux parents de .Moulay Abdessalam de surveiller leur enfant. Il est facile, dans ces histoires d’eau troublée · à distance. · de retrouver .l’espèce de sentiment  de rivalité
qui animait les uns vis,-à-vis des autres .ces illustres personnages.Nous verrons plus loin de quelle façon Moulay Abdessalam est devenu en réalité la personnification marocaine du mysticisme, le pôle de l’Occident, en face de Moulay Abdelqader El-Djilani. le pôle d’Orient, au détriment de Moulay Bou Azza, qui est resté simplement un saint et un faiseur de miracles, dont la baraka est sans doute considérable, niais qui manque de rayonnement. Moulay bou Azza aurait vécu 130 ans. Il serait né en effet en 438 (1046 J.-C.) et serait mort à Taghia, où il est enterré, en 572 (1176 J .-C.).
D’après les renseignements gracieusement communiqués par M. le capitaine Paul Odinot, qui commande le poste de Moulay Bou Azza, on trouve à ce poste même un cromlech, ce qui permet de penser que cet endroit était avant l’Islam le centre d’un culte local : ce qui pourrait confirmer cette opinion, c’est que d’autres cromlechs se trouvent dans les environs et qu’ils sont appelés par les gens du pays : El-Djouhal, terme par lequel les musulmans désignent, comme on le sait, les païens en général.
Malgré la diminution que semble avoir éprouvé le prestige de Moulay Bou Azza à travers les siècles, il devait être encore considérable au commencement de la dynastie actuelle : en effet, pour flatter les sentiments des populations berbères de la région, Moulay Rechid et son successeur Moulay Ismaïl firent reconstruire, au xvne siècle, son tombeau et sa mosquée; en 1881, Moulay El-Hasan y fit faire quelques travaux, et en 1918, le sultan Moulay Yousef s’y rendit en pèlerinage allant à Marrakech. Moulay Bou Azza n’avait pas créé de confrérie, mais le prestige de son nom devait tenter un de ces ambitieux, comme il y en a tant au Maroc, qui, à défaut d’ancêtres propres, exploitent la crédulité publique à l’abri d’un marabout illustre auquel ils se rattachent par une similitude de nom ou d’une façon quelconque.
C’est ainsi qu’il y a un certain nombre d’années, le Hadj Mohammed bel-Talbi El-Bou Azzaoui, originaire du Mzab des Chaouïa, et qui avait été Derqaouï, abandonna cette confrérie pour en fonder une en se disant descendant de Moulay bou Azza, dont la lignée était depuis longtemps éteinte.
Ce serait sortir du cadre de notre étude que de parler des agissements politiques du Bou Azzaouï, qui était protégé allemand et qui a fait, à l’aide de sa confrérie, une grande opposition à notre pénétration. Ses dissentiments et ses discussions théologiques avec Mohammed bel-Kebir El-Kittani sont restées célèbres. Ces querelles, dignes des plus beaux temps de notre scolastique, ont fait l’objet de deux ouvrages qui ont paru il y a une vingtaine d’années et qui ont été litographiés à Fès : l’un, la Risalat El-Mourid, du Bou Azzaouï; l’autre, Lisan El-Hodja El-Borghaniya, de Mohammed ben Abdelkebir El-Kittani. Le Bou Azzaoui est mort à Marrakech en 1914. Ses deux fils continuent la confrérie fondée par leur père ; ils ont même, paraît-il emporté, il n’y a pas longtemps, le manuscrit d’un ouvrage relatif à Moulay bou Azza, qui se trouvait à la zaouïa de Taghia. ·Cet ouvrage, dont il existe, d’ailleurs, une copie manuscrite à la bibliothèque du Protectorat, a pour titre: El Mo’za fi manaqib Abi Yaza, par Aboul Abbas Ahmed ben Aboul’-Qasim ben Mohammed ben Salem ben Abdelaziz Ech-Cho’bi El-Haraoui Eç-Çoumaï Et-Tadili. J’avais pensé qu’il pourrait apporter d’utiles renseignements sur la vie de Moulay bou Azza, mais, d’après sa date. 1604, il fait partie de cette production d’ouvrages hagiographiques postérieurs au xe siècle de l’hégire et qui correspond à l’éclosion du maraboutisme -chérifien qui s’est produite à partir de cette époque, et où ce qui a trait aux personnages religieux des époques précédentes subit forcément une certaine déformation nécessaire à la situation du moment. Il semble que l’on peut avoir plus de confiance dans les ouvraes plus anciens pour les personnages antérieurs à Djazouli et à l’apparition du chérifisme. En résumé, Moulay Bou Azza n’est pas un chaikh; il ne savait pas  l’arabe, il était illettré et ne pouvait pas enseigner une doctrine; mais c’était un ascète, un saint personnage, considéré comme ayant reçu de Dieu le pouvoir d’accomplir des miracles évidents : son prestige et sa popularité étaient considérables, et les savants eux-mêmes, comme Sidi Bou Median comprenaient qu’ils ne devaient pas négliger la bénédiction et l’appui de ce thaumaturge pour faire accepter plus facilement leur enseignement et pour le populariser. Il ne serait donc pas exact de dire que Sidi Bou Median a été le disciple de Moulay Bou Azza, qui n’aurait rien pu lui apprendre; mais l’Andalou savant et averti est allé chercher auprès du Berbère ignorant une popularité et un caractère miraculeux dont il avait besoin.
Avec Sidi Bou Median, nous entrons dans la deuxième période,qui comprend les confréries qui procèdent de son enseignement jusqu’à Chadili, c’est-à-dire au vie et au vue siècle de l’hégire, qui correspond au xue et au XIIIe siècle de notre ère.

Malgré son rôle considérable dans l’histoire des confréries, je ne vous raconterai pas sa vie en détail : je suis d”ailleurs obligé d’abréger beaucoup pour pouvoir vous exposer brièvement tout ce que j’ai encore à vous dire.

Abou Median Chouaib El-Ançari est né très probablement à Séville, quoique certains auteurs le fassent naitre à Bougie et d’autres à Ceuta : il a été disciple d’un grand nombre de chaikhs dont je ne citerai que les deux plus importants : Moulay Abdelqader El-Djilani, qu’il a rencontré à la Mecque, et Sidi Ali ben Harazim, à Fès. Bou Median est donc bien un des chaikhs qui ont apporté au Maroc les doctrines de Djounaid d’après l”école de Moulay Abdelqader, c’est-à-dire le Tariqa Qadiriya, dont il y a des zaouias et des confréries dans toutes les villes du Maroc ; il a apporté également les doctrines de Ghazzali, qui lui avaient été enseignées par Ali ben-Harazim, dont le tombeau est encore aujourd’hui un lieu de pèlerinage très fréquent à peu de distance de Fès.

Outre les Qadiriya proprement dits dans les zaouias desquels ont récite le hizb de Moulay Abdelqader et qui ne se trouvent que dans les villes, il y a également les Djilala, qui n’ont pas de zaouïas et dont on peut à peine dire qu’ils constituent à proprement parler une confrérie. Chez les Djilala, les principes mystiques de Moulay Abdelqader ont complètement disparu et ont été remplacés par une sorte de culte des démons. Sous le couvert du grand chaikh de Bagdad, les Djilala font des invocations à des démons mâles et femelles : Sidi Mimoun, Sidi Mousa, Lalla Mira, Sidi Hammo, Lalla Djemiliya, etc. D semble qu’il y ait souvent une confusion entre les pratiques des Djilala et celles des Guenaoua, qui sont également placés sous l’invocation de Moulay Abdelqader, sans avoir cependant rien de musulman. Il semble
que les Djilala se rencontrent plus spécialement dans les tribus arabes des plaines; il n’y en a pas chez les Djebala et je ne crois pas que l’on en rencontre dans les tribus berbères, tandis qu’il n’y a pas un village arabe qui n’ait sont petit sanctuaire de Moulay Abdelqader, qui se compose d’ailleurs le plus souvent de quelques pierres blanchies à la chaux, où les femmes viennent accrocher des cheveux ou des chiffons, allumer des bougies et brliler du benjoin. Cette déformation des doctrines mystiques de Moulay Abdelqader parait coiTespondre à l’arrivée au Maroc des tribus arabes Hilaliennes, qui y ont été amenées par l’ Almohade Yaqoub El-Mançour, en 548 de l’hégire (1187). C’est peutêtre d’ailleurs une simple colncidence.
Les Qadiriya et les Djilala, provenant tous les deux de Moulay Abdelqader El-Djilani, ont depuis des siècles une existense paisible : dans les villes, les Qadiriya se réunissent dans leurs zaouïas pour y faire leurs exercices de piété : les Djilala se livrent à leurs incantations et célèbrent des hadras, où ils invoquent les puissances souterraines et cachées ; les Djilala de la campagne, que l’on appelle des Aouadin ou Moualin elQosba, continuent à soumer dans leurs fltltes de roseaux en s’accompagnant d’un bender, sorte de grand tambour de basque sans grelots :tout cela s’accomplit comme un acte presque organique de la vie habituelle; cependant, il y a une vingtaine d’années, les doctrines de Moulay Abdelqader se sont manifestées d’une façon plus active et plus militante avec l’arrivée au Maroc du chaikh Ma El-Aïnin. Il appartenait à la confrérie des Qadiriya Bekkaya du Soudan, que l’on appelle aussi les Mokhtariya, du nom du chaikh El-Mokhtar, qui vivait au xvine siècle. Tandis que son frère, le chaikh Saad Bou, se ralliait à nous, Ma El Aïnin, qui restait irréductible, chercha à étendre son influence au Maroc et à y trouver des moyens de nous résister. Peut-être était-il soutenu et poussé par des influences étrangères. A sa mort, il fut remplacé par son fils El-Hiba, dont on connaît les aventures à Marrakech et la retentissante défaite à Sidi Bou Othman. A sa mort, il fut remplacé par son frère Merrebi Rebbo, qui continue encore son agitation dans le Sous. On peut encore retrouver aujourd’hui dans le Gharb les traces de cette tentative des Qadiriya Bekkaya, avec le chaikh Mohammed EI-Bedoui, ancien moqaddem de Sidi Ahmed Chems, qui était khalifa de Ma El-Aïnin à Fès il y a vingt ans. A cette époque, soutenu par quelques membres du makhzen, Ahmed Chems avait cherché – à créer des zaouïas dans le Gharb, sans succès d’ailleurs. Pendant la guerre. Mohammed El-Bedoui à réapparu au Djebel Çarçar ; ses fidèles avaient même commencé à lui construire une zaouïa à El-Qçar El-Kebir ; mais depuis l’armistice les constructions sont arrêtées et le chaikh Mohammed El-Bedoui vit, je crois, aujourd’hui paisiblement au Djebel Dall, près du souk El-Djouma de Lalla Mimouna (1).

Les Qadiriya et les Djilala nous ont éloigné un peu de Sidi Bou Median, qui parait être une des causes de leurs arrivée au Maroc. Il vivait à Bougie, où sa popularité devint telle qu’elle
porta ombrage au sultan Yaqoub El-Mançour, qui donna l’ordre de le lui envoyer à Marrakech. Malgré son grand âge, il avait alors 85 ans, il se mit en route, mais il mourut en arrivant près
de Tlemcen, en 549 (1189) et fut enterré au cimetière d’ElEubbad, où son tombeau est bien connu.

Parmi ses nombreux disciples, il en est un qu’il est intéressant de noter, parce qu’il nous permet de jeter en passant un coup d’oeil rapide sur le Rif, où les doctrines mystiques avaient également pénétré. Jusqu’à présent on n’y retrouve les traces de l’enseignement çoufique qu’à partir du v1e siècle de l’hégire (XIIe siècle).

A cette époque vivait sur la côte de la baie d’ Alhucemas un saint homme qui s’appelait Abou Daoud Mouzahim; il appartenait à la fraction des Beni Ouartada des Bottouïa. Abou Daoud avait fondé, non loin de la mer, une zaouia qui existe encore et il alla en Andalousie pour suivre les cours de Bou Median. Il est mort à sa zaouia en 578 de l’hégire. On retrouve aussi dans la tribu de l’ Andjera, à peu de distance de Tanger, un sanctuaire qui se compose d’un simple enclos de pierres et qui est dédié à Sidi Ali ben Harazim, un des cbaiks de Bou Median. C’est un lieu de pèlerinage très fréquenté.

Sidi Ali, qui est enterré à Khaoulan, près de Fès, se sera sans doute arrêté à cet endroit dans un de ses voyages en Andalousie. Les deux principaux disciples de Bou Median ont été le patron de Safi, Abou Mohammed Çalih et Moulay Abdessalam ben Mechich, enterré au Djebel Alam, un des chaikhs de Chadili, le fondateur de la Tarika Chadiliya.

Abou Mohammed Çalih ben Said ben Inçaren ben Anifiyan ou Ghafiyan est originaire des Beni Magner, en Doukkala; l’origine berbère d’Abou Mohammed Çalih semble donc bien établie et elle est encore confirmée par les noms de son grand-père et de son arrière-grand-père, lnçaren et Ghafiyan, qui n’ont absolument rien d’arabe ; cependant on a voulu lui donner une origine chérifienne et on a prétendu qu’il descendait du calife Omeïade Omar ben Abdelaziz. Il y a là très probablement une confusion plus ou moins volontaire avec Abou Mohammed Çalih ben Hirzihim oncle d’Ali ben Hirzihim. Cet Abou Mohammed Çalih ben
Hirzihim avait été en Orient disciple de Ghazzali, dont il avait enseigné les doctrines à son neveu, chaikh d’Abou Median, dont Abou Mohammed Çalih El-Maguiri était, comme nous le
savons, lui-même disciple. Les Bani Hirzihim sont considérés comme descendants des Omeïades et on a attribué au disciple l’origine de son chaikh au troisième degré en abusant de la similitude de nom.

L’arrière petit-fils d’Abou Mohammed, Ahmed hen Ibrahim ben Ahmed ben Abou Mohammed Çalih, a écrit sous le nom de « El-Minhadj El-Ouadih fi tahqiq Karamat Abou Mohammed Çalih  «  la vie de son arrière grand-père.

D’après cet ouvrage Abou Mohammed est né en 550 de l’hégire (1150 J.-C.) et il est mort en 631 (1234). Il a été, comme nous ravons vu, disciple de Bou Median, et, au cours de son pèlerinage à la Mecque il a séjourné vingt ans à Alexandrie où il a suivi les cours d’Abderrezaq EI-Djazouli, un des principaux disciples d’Abou Median. Il a laissé plusieurs enfants, qui sont enterrés à Safi où leurs descendants vivent encore. Un seul d’entre eux, Abdelaziz, mourut au Caire en 646 (1249). Abou Mohammed a fondé deux confréries : celle des Maguiriyoun, qui semble avoir exercé assez loin son influence et qui a dii proJonger
son existence jusqu’à J’époque de Djazouli, c’est-à-dire jusqu’à l’arrivée des Portugais; celles des Hodjadjt qui mérite que nous nous y arrêtions un moment. Il a eu également pour disciple
Abou Merouan Abdelmalek de Ouhaqis, dans le Rif , qui est venu le trouver à Safi. Nous avons pu déjà nous rendre compte de la tendanèe des Berbères marocains à nationaliser pour ainsi dire toutes les doctrines qui leur venaient d’Orient, au point d’attribuer à des personnages locaux, souvent sans instruction, tels que Moulay Bou Azza, toutes les qualités que renseignement orthodoxe ne reconnaissait qu’au Prophète. En un mot, successivement Kharedjites, Berghouata, partisans du Mehdi des Almohades ou tendant à avoir dans leurs marabouts une confiance qui allait presque .jusqu’au culte, les Berbères se laissaient aller facilement à une sorte de séparatisme religieux qui les conduisait progressivement à oublier le Prophète. Pour lutter contre cette tendance, Abou Mohammed Çalih résolut d’encourager par tous les moyens le pélerinage de la Mecque, de façon à augmenter le contact entre les musulman~ du Maroc et ceux d’Orient et à rappeler constamment à ses compatriotes qu’ils appartenaient à l’Islam et à diminuer ainsi l’influence des thaumaturges locaux. Pour obtenir ce résultat, il créa la confrérie des Hodjadj.

Des groupes de disciples du chaikh s’étaient fixés aux points principaux de la route suivie par les caravanes de pèlerins et principalement au Caire et en Syrie. Leur rôle consistait .à venir en aide aux pèlerins du Maghreb qui leur étaient envoyés par les membres de la confrérie répandus au Maroc.

Cette organisation dura même après la mort d’Abou Mohammed Çalih ; un de ses fils, Abdelaziz, qui, ainsi que nous l’avons vu, est mort au Caire, s’était installé dans cette ville pour assurer le fonctionnement de la confrérie, qui dura jusqu’à ce que les gens du Maghreb aient appris le chemin de la Mecque et que l’habitude du pèlerinage ait été prise au Maroc.

Il peut être curieux de remarquer que l’idée d’Abou Mohammed Çalib de faciliter le pèlerinage de la Mecque aux Marocains et de les encourager à le faire, ait été reprise neuf siècles plus tard par la France qui, ont le sait, vient de fonder à la Mecque une maison destinée à recevoir les pèlerins de l’Afrique française.
Trois autres confréries, sans avoir été fondées directement  par Abou Mohammed Çalih, procèdent cependant de son enseignement. Ce sont: celles de Hahiyoun, fondée par Yahia ben
Abou Amar Abdelaziz ben Abdallah ben Yahia El-Hahi, enterré à Tizgha, à une journée de marche au sud-ouest de Marrakech. On ne connaît pas la date de sa mort qui a dtl se produire à la fin du septième siècle de l’hégire.

La confrérie des Hazmiriyoun ou Ghammatiyoun, fondée à Aghmat par Abderrahman ben Abdelkerim ben Abdelouahed ben Yahia, ben Abdallah El-Hazmiri Ed-Doukkali. El-Hazmiri
est mort à Fès en 707 de l’hégire (J.-C. 1307) et est enterré à l’intérieur de Bab El-Foutouh, dans la Raoudat El-Anouar.

Enfin celle des Hançaliyoun, fondée par Sidi Saïd Ahançal qui était disciple d’Abou Çalih, et qui est enterré au Dadès.

Ces trois confréries, comme celle des Maguiriyoun, semblent s’être prolongées pendant la troisième période, qui s’étend de Chadili à Djazouli et qui a duré environ deux siècles. A ce moment elles ont disparu: deux d’entre elles, les Habiyoun et les Hançaliyoun ont apparu de nouveau en professant la doctrine de Djazouli ; la première au commencement du dix-septième siècle, sous les Saadiens, la deuxième, au commencement du dix-huitième siècle, sous le règne de Moulay Ismaïl, nous les retrouverons plus loin.

Il nous reste encore à parler, pour terminer la deuxième période, qui n’occupe guère qu’une centaine d’années, réparties sur le douzième et le treizième siècle, d’un personnage considérable qui était avec Abou Mohammed Çalih, disciple de Bou Median, c’est Moulay Abdessalam ben Mechicb, le chaikh de Chadili.

L’importance considérable de Moulay Abdessalam et son incontestable prestige, nous obligent à nous y arrêter un moment.

On peut difficilement se figurer la vénération dont il est l’objet, non seulement dans sa région, mais dans le Maroc tout entier. Il est couramment qualifié de Qotb d’Occident, par opposition à Moulay Abdelqader, le Qotb d’Orient, de Sultan des Djebala et autres épithètes hyperboliques. Moulay Abdessalam justifie pleinement la crainte manifestée par Abou Mohammed de Safi lorsqu’il fondait la confrérie des Hodjadj pour empêcher la religion des Marocains de devenir trop locale et d’oublier le Prophète. Les Djebala de la région de Moulay Abdessalam ne vont jamais en pèlerinage â la Mecque ; Moulay Abdessalam leur suffit et le Prophète ne les préoccupe pas.

Qu’y a-t-il derrière ce véritable culte dont Moulay Abdessalam est l’objet; il serait bien difficile de le- dire. On peut croire, d’après l’endroit élevé où se trouve son tombeau, et la forme traditionnelle de l’espèce de religion dont il est entouré et où l’Islam ne semble pas avoir grand chose à voir, à la survivance d’un culte local dont a hérité ce personnage en l’islamisant. Tout, dans le personnage de Moulay Abdessalam est nébuleux et légendaire: il serait né au sixième siècle de l’hégire au village de Lahçoun  dans les Beni Arouç, d’une famille chérifienne, t]ui descendait de Moulay Idris naturellement ; il serait allé en Orient où il aurait séjourné une vingtaine d’années et c’est là qu’il aurait rencontré ses deux chaikhs, Bou Median El-Ghaout et Abderrahman El-Madani Ez-Ziyat.

L’enseignement tout entier reçu par Moulay Abdessalam provient directement ou indirectement de Bou Median : en effet, Ziyat était lui-même disciple d’Abou Ahmed Djafar ben Abdallah ben Ahmed ben Syid Bouna El-Khozaï, originaire d’Andalousie. disciple de Bou Median ; d’après certains auteurs, Ziyat aurait même été directement disciple de Bou Median.

Revenu au Maroc, il se trouvait d’après la tradition dans la Mosquée du village d’El Qli’, dans la tribu du Sérif, lorsqu’il fut averti que des gens de Mohammed ben Abou Taoudjin ElKoutami le cherchaient pour le tuer. Pourquoi? Quels étaient les motifs de la haine du fils d’Abou Touadjin. contre Moulay Abdessalam, on n’en sait rien. L’influence naissante du  chaikh devait sans doute le gêner ; il cherchait, en effet, à exploiter à son profit la crédulité des gens de cette région et il fut d’ailleurs tué lui-même quelques années plus tard dans les environs de Ceuta où il se faisait passer pour Prophète. Bref, Moulay Abdessalam, s’enfuit dans la montagne et fut rejoint par les assassins à l’Aqbat El-Haïa (la montée du serpent), dans la tribu des Beni Arouç. C’est là qu’il fut tué et il fut enterré au sommet du djebel Alam. Cela se passait entre 622 e 625 de l’hégire, à la fin de la dynastie almohade, alors que les Mérinides commençaient à apparaître.

Étant donné l’importance que l’on donne aujourd’hui à Moulay Abdessalam, son assassinat aurait dû être un événement considérable; il n’en a cependant rien été et Ibn Khaldoun, qui raconte la vie et les exploits d’Abou Touadjin et la façon dont il a été tué comme faux prophète, ne dit pas un mot de son antagonisme avec Moulay Abdessalam, ni de l’assassinat de ce personnage, dont il ne parle même pas. Nous avons déjà vu que l’auteur de Tachaouf, qui écrivait au septième siècle de J’hégire, n’en parle pas davantage.

Nous verrons plus loin que l’i rn portance de Moulay Abdessalam ne date que de l’époque du chérifisme et que toute la tradition qui le concerne parait avoir été faite après coup d’après d’autres traditions que l’on a, pour les besoins de la cause, rapportées à lui.

Ce qui est positif c’est que ce n’est pas au Maroc qu’il a rencontré ses deux chaikhs. En était-il originaire ou est-il venu pour y répandre son enseignement et a-t-il succombé dans sa lutte avec un thaumaturge local, Mohammed ben Abou Touadjin, qu’il gênait ? Quoiqu’il en soit, ce sont là des choses qu’il est impossible et d’ailleurs inutile de discuter aujourd’hui et la personnalité presque plus que sainte de Moulay Abdessalam est devenue inattaquable.

Le même doute existe à propos de son disciple Chadili. Il est admis qu’ Aboul-Hasan Ali Ech-Chadili est né dans la fraction des Beni Zarouil, de la tribu des Akhmas, non loin de Chefchaouen, et qu’il est descendant de Sidi Omar ben Idris. D’autre part, le nom de Chadili viendrait de la bourgade de Chadila, en Hriqiya, c’est-à-dire en Tunisie. Personne ne dit où i1 a rencontré son chaik Moulay Abdessalam, et il y a de fortes probabilités pour que ce soit en Orient et non au Maroc. Outre Moulay Abdessalam, Chadili a eu également pour chaikh Mohammed ben Ali ben Hirzihim qui lui donna l’enseignement des doctrines de Ghazali, qu’il avait déjà reçu de Moulay Abdessalam lui-même, qui était disciple de Bou Median, disciple d’Ali ben Hirzihim.

On peut voir d’après cela que les doctrines sur lesquelles est établi le chadilisme, la tariqa Chadiliya, sont formées des doctrines de Djounaid, transmises par Moulay Abdelqader, qui en avait tiré la tariqa Qadiriya, le qadirisme, et par Ghazzali, qui y avaient aporté les préceptes de l’Achari.

Chadili habitait généralement Alexandrie, il alla plusieurs fois à la Mecque, et c’est en se rendant en pèlerinage qu’il mourut en 656 de l’hégire (1258 J.-C.), dans le désert de Houmaïthara, non loin de la petite ville de Aidhab, sur la côte africaine de la mer Rouge, à peu près en face de Djedda. Son tombeau existe encore. On n’est pas d’accord sur la date de sa naissance, que certains auteurs placent en 551 (1175) et d’autres en 590 (1194) ; il aurait donc vécu de 64 à 83 ans.

Il n’a pas fondé d’école au Maroc et on n’y trouve aucune confrérie née pendant la troisième période, de Chadili à Djazouli, qui s’étend du commencement du septième à la fm du xe siècle de l’hégire (du xme siècle au xv19 de J.-C.). Les confréries issues de la deuxième période se prolongent jusqu’à la quatrième, dont nous nous occuperons la prochaine fois en parlant en même temps de la naissance du chérifisme.
Avant de nous lancer dans l’étude des confréries de la quatrième période, c’est-à-dire celles qui procèdent des doctrines de Chadili, rapportées au Maroc, et qui existent encore aujourd’hui, il ne sera peut-être pas mauvais de récapituler rapidement les époques précédentes, de façon à reconstituer l’enchaînement des faits.

Après une islamisation assez incomplète du pays par Oqba et Mousa ben Noceir, au premier siècle de l’hégire, les doctrines Kharedjites ont pénétré· au Maroc dès le deuxième siècle et ont été volontiers acceptées par la majorité des Berbères, auxquels elles permettaient d’être musulmans sans reconnaitre la souveraineté d’un calife arabe. c’est-à-dire étranger. Les abus des gouverneurs arabes provoquèrent un soulèvement général des Kharidjites avec Meïçara, qui fut même proclamé calife par les Berbères. Peu à peu, une ‘hérésie beaucoup plus grave se manifestait avec Çalih ben Tarif El-Berghouati, qui se posait en prophète berbère, en opposition à Mohammed, le prophète arabe, et qui fondait la religion et le royaume des Berghouata ; l’un et l’autre, après des luttes contre Jes dynasties successives, se sont maintenus jusqu’au sixième siècle de l’hégire, sous le règne de I’Almohade Abdelmoumen ben Ali.

Dès 172 de l’hégire, Moulay Idris avait réuni autour de lui les Berbères orthodoxes et commencé la lutte contre les tribus juives, chrétiennes et kharidjites, ainsi que contre les Berghouata ; cette lutte est continuée par les dynasties suivantes ; mais les tribus berbères sont partagées : les unes soutenant les Omeïades d’Espagne, les autres les Fatimides d’egypte.

Dans ce désordre apparaissent au cinquième siècle de l’hégire, les Çenhadja du Sud, sous la conduite d’Abdallah ben Yasin, convertisseur issu de la première zaouia que ron puisse retrou ver dans. l’histoire du Maroc; elle était dans le Sous et s’appelait Dar el-Mourabitin (la maison des Marabouts), d’où la dynastie des Cenhadj a Almoravides a tiré son nom.

Au commencement du sixième siècle, on voit sortir de la zaouïa de Tinmal, qu’il avait fondée, Mohammed ben Toumart, qui provoque un soulèvement de la grande famille berbère, que l’on peut considérer comme autochtone, celle des Meçmouda, qui occupait primitivement presque tout le Maroc.

Mohammed Ibn Toumart, qui se faisait appeler r Imam ElMahdi, avait été, en Orient, le disciple de Ghazzali, qui avait pour ainsi dire codifié les doctrines d’El Achari, et il avait tiré de cet enseignement le Tauhid, c’est-à-dire suivant les interprétations, l’Unité de Dieu, par opposition aux doctrines panthéistes ou l’Unité en Dieu, c’est-à-dire la communion de l’âme avec la divinité. Les partisans d’Ibn Toumart prennent le nom d’El-Mouahidoun, les Unitaires, les Almohades.

Sous cette dynastie, la lutte continue contre les derniers Kharedjites et contre les Berghouata, qui sont détruits. L’unité musulmane orthodoxe du Maroc semble définitivement établie.

Nous avons vu que la première période de l’histoire des zaouias et des confréries s’étend de Djounaïd à Moulay Abdelqader et à Bou Median, du troisième siècle de l’hégire au septième (J.-C. du Ixe au XIIIe).

La deuxième période, qui comprend l’arrivée de Bou Median et du Qadirisme, ainsi qu’un renouveau des doctrines de Ghazzali avec Ali ben Hirzihim et où l’on voit figurer le gamd Chaikh Moulay Abdessalam et son disciple r Imam Chadili, occupe le septième siècle de l’hégire (J .-C. XIII).
La troisième période s’étend de Chadili à Djazouli, du septième au neuvième siècle de l’hégire (J.-C. xrne au xvre). Mais nous savons que Chadili n’a très probablement pas vécu au Maroc et n’y a jamais enseigné; il n’y a donc pas de zaouïas ni de confréries issues de la troisième période.

La quatrième période, qui nous reste à étudier, s’étend de Djazouli à nos jours, c’est-à-dire du neuvième au quatorzième siècle de l’hégire (J.-C. xve au xxe siècle). Pendant cette même période, nous verrons également l’éclosion du Chérifisme.

Le Chadilisme est certainement revenu au Maroc par plusieurs voies; je n’ai pu, jusqu’à présent, retrouver que deux de ces voies, dont la plus importante de beaucoup est celle de Djazouli; elle a donné naissance au Djazoulisme, dont le nom a presque fait oublier celui du Chadilisme, dont elle provient.

L’autre voie procède de Chadili en passant par des chaikhs fameux, tels que El-Hadrami, Ahmed Zerrouq EI-Bemousi, originaire de la tribu des Branès, près de Taza, et qui est enterré à Azliten, près de Tripoli, Ahmed ben Yousef Er-Rachidi, le patron de Miliana, Aboul-Hasan El-Ghazi, dont le tombeau se trouve hors de Bab el-Guisa, à Fès.

Cette voie de l’enseignement du Chadilisme a produit plusieurs confréries :les Zarrouqia, les Yousoufiya, les Ghaziya et, enfin, la plus importante celle des Naciriya à Tamegrout, dans le Drâa.

De ces différentes confréries, deux seulement nous intéressent au point de vue marocain: celle des Ghaziya et surtout celle des Naciriya qui est encore aujourd’hui très répandue dans tout le Maroc.

Nous pouvons ainsi arriver à une classification des confréries actuelles. que nous examinerons chacune séparément, par ordre de dates, autant que possible.

En premier lieu, lesQadiriya et les Djilala qui procèdent du Qadirisme, c’est-à-dire des doctrines de Moulay Abdelqader de Bagdad.Puis, les Chadiliya, dont nous venons de voir les deux sources au Maroc et qui, sauf les Ghaziya et les Naciriya, procèdent de Djazouli et de ses disciples.

Enfin, une confrérie d’une grande importance et qui ne procède ni du Qadirisme ni du Chadilisme, les Tidjaniya.

C’est un peu, je dois le dire, par acquit de conscience que j’ai tenu à indiquer la différence entre les confréries Chadilites, provenant  de Djazouli et les autres ; en effet, les deux ·confréries des Ghaziya et des Naciriya, qui ne sont pas purement Djazoulites ont également reçu l’influence de renseignement de Djazouli, qui a pris le dessus dans toutes les confréries Chadilites du Maroc; d’autre part, dans une étude aussi complexe que celle des confréries, tant de nuances restent souvent insaisissables,que j’ai pensé qu’il ne fallait pas manquer d’en signaler une que l’on pouvait retrouver. La pénétration au Maroc du Chadilisme, enseigné par Djazouli, est d’ailleurs antérieure à l’autre ; elle a coïncidé avec les premières tentatives de conquête des Portugais et en a tiré une puissance particulière: elle a profité de la surexcitation des esprits et du mouvement de fanatisme causés par l’invasion étrangère; on peut dire que la prédication des doctrines de Chadili par Djazouli et par ses disciples s’est confondue avec celle de la Guerre sainte.

Il peut être utile de jeter un rapide coup d’oeil sur l’état du Maroc au moment de Djazouli, avant de s’occuper de ce personnage lui-même.

La puissance musulmane en Andalousie s’affaiblissait et, de plus, la chrétienté commençait à menacer le territoire marocain. En 1415, les Portugais s’étaient emparés de Ceuta ; ils s’emparàient d’El-Qçar Eç-Ceghir en 1462, d’Anfa en 1468. d’Arzila et de Tanger en 1471, de Mazagan en 1506, de Safi en 1507, d’Agadir en 1508, d’Azemmour en 1513. Un mouvement de foi musulmane se produisait devant le danger et la faiblesse des souverains Mérinides encourageait le développement des doctrines mystiques apportées au Maroc depuis le cinquième siècle de l’hégire par un grand nombre de ehaikhs, soit par l’Andalousie, soit d’Orient directement.
Les zaouïas fondées par ces chaiks et demeurées jusque-là obscures se développaient et devenaient des centres politiques, parce que la religion prend forcément une action politique lorsque le territoire de l’Islam est menacé. Il résultait de cette agitation une décentralisation du pouvoir et un fractionnement de l’autorité au bénéfice des zaouias qui grandissaient. C’est à ce
moment, en 841, de l’hégire (J.-C. 1437) sous le règne du Mérinide Abdelhaqq ben Abou Said, qu’en faisant des réparations à la mosquée des Chorfa à Fès, on y découvrit le corps de Moulay Idris II, miraculeusement conservé, « dans le même état, disent les textes, que le jour de son inhumation», qui avait eu lieu en 213 de l’hégire, c’est-à-dire 628 ans auparavant.

Malgré les affirmations d’un grand nombre d’auteurs. que le fondateur de Fès était mort à Oualili, au Zerhoun, étouffé par un grain de raisin, et qu’il avait été enterré à côté de son père Idris le Grand, il a été officiellement reconnu que le cadavre encore intact qui venait d’être découvert était celui d’Idris ben Idris, le fondateur de Fès. Le culte de Moulay Idris, était ainsi
instauré à Fès, qui devenait la zaouïa la plus vénérée du Maroc, puisqu’elle possédait le tombeau de celui qui, avec son père, était considéré comme ayant islamisé le pays.

Malgré toute la gloire des dynasties berbères et l’affection des populations pour des souverains de leur race, la menace de l’étranger infidèle, en excitant le zèle religieux  des Marocains, leur faisait rechercher l’appui du Prophète et de ses descendants pour les défendre ; les Mérinides, qui se sentaient menacés essayaient donc de diriger à leur profit cette tendance, en faisant de leur capitale la zaouia de Moulay Idris, dont le prestige devait être supérieur à celui des autres zaouias : ils espéraient ainsi empêcher la dispersion de l’autorité en la centralisant; mais ils :avaient du même coup créé le Chérifisme, que nous verrons se
développer rapidement et qui commencera par renverser les Mérinides pour amener au pouvoir une dynastie chérifienne, celle des Sàadiens.

A partir de ce moment on voit se développer progressivement la caste privilégiée de Chotfa de plus en plus nombreux et apparaître une quantité de généalogies qui font remonter à Moulay
ldri!:> ou à un de ses frères tous les chaikhs des confréries, même ·ceux dont l’origine berbère est incontestable.

Dans tout le Maroc, le mouvement provoqué par les luttes contre les Portugais et .par les prédications de Djazouli et de ses disciples ont rendu aux sentiments religieux des Marocains un attachement plus étroit au Prophète et à ses descendants. L’ouvrage le plus populaire de Djazouli, les Dalail El-Khaïral, n’est qu’une série d’invocations au Prophète et de glorifications de :sa personne et de sa mission : ce Prophète que, ainsi que nous l’avons déjà vu, les Berbères avaient une tendance à oublier un peu, avec leur esprit de nationalisme, devenait devant le danger de l’invasion, habilement exploité, leurs recours et leur Providence.
Tout ce qui de près ou de loin se rattachait au Prophète prenait une valeur supérieure au reste des humains ; de là cette -éclosion de Chorfa vrais ou faux et la constitution d’une véritable
caste privilégiée.

Un des exemples les plus frappants de la façon dont s’est formée cette aristocratie de Chorfa, se trouve dans ce qui s’est passé après la bataille de l’oued El-Mkhazen, le 4 août 1578.
Cette bataille, que l’on appelle souvent la bataille des Trois Rois, parce que trois souverains y ont trouvé la mort : le roi de Portugal Sébastien, Mohammed El-Mesloukh, fils du sultan EI Ghalib Billah, et son oncle Abdelmalek, s’est livrée à quelques kilomètres au nord d’El-Qçar El-Kebir.

Vous vous rappelez que Mohammed, fils d’Abdallab ElGbalib Billah, avait demandé l’appui des Portugais contre ses oncles Abdelmalek et Ahmed fils de Mohammed Ech-Chaikh. Les Portugais furent battus; le roi Sébastien et Mohammed  son allié, tués dans la bataille, Abdelmalek mourut, empoisonné peut-être, dans sa litière pendant le combat. Après la victoire, son frère Ahmed, surnommé El-Mançour, le Victorieux, fut proclamé sultan sur le champ de bataille.

On ne saurait s’imaginer le retentissement de ce triomphe des armes musulmanes, non seulement au Maroc, mais dans tout l’Islam; aujourd’hui encore, c’est avec un sentiment de vanité. et peut-être d’espérance que les gens vous parlent de la Ghazaouat Ouadi El-Makhazin, c< la Victoire de l’Oued El-Mkhazen ”· D’autre part, le danger passé, les tribus qui étaient venues en foule de toutes les régions, poùr repousser l’étranger, avaient repris confiance et toutes voulaient avoir leur part de l’immense. butin fait sur les vaincus. Parmi ces tribus, se trouvaient toutes celles des montagnes, de la région des Djebala, voisine du champ de bataille. Elles avaient été amenées par un marabout ·de la tribu des Beni Arous, Sidi M’Hammed ben Ali Ber Raisoun, l’ancêtre du fameux chérif Raisouli qui fait tant parler de lui depuis vingt ans et dont la situation, après de nombreux avatars, semble se rétablir au gré de son ambition et de ses projets.

Je m’arrête un peu à ces conséquences locales de la bataille des Trois Rois, parce que l’on peut y voir la façon dont s’établissent souvent les traditions et y retrouver les raisons de sentiments actuels qui semblent parfois incompréhensibles.

Le grand’père de M’Hammed ben Ali, Aisa, avait épousé sa cousine, une descendante du célèbre Moulay Abdessalam ben Mechich, le chaikh et le professeur de Chadili. Cette jeune fille s’appelait Lalla Raisoun et Ali, le fils d’AYsa, prit le nom de Ber Raisoun, fils de Raisoun, qui fut conservé par ses descendants.

Par son père, M’Hammed ben Ali Ber Rarsoun descendait de Sidi Younes, frère de Sidi Mechich et oncle, par conséquent,de Moulay Ahdessalam. Toute cette famille de marabouts montagnards,surtout sans doute depuis la crise du chérifisme qui secouait le Maroc, prétendait se rattacher à la descendance de Moulay Idris, par Sidi El-Mezouar, dont le tombeau se voit encore à Hadjrat ech Chorfa, l’ancienne Hadjrat En-Neser des Idrisites. qui se trouve dans la tribu des Soumata, à peu de distance du tombeau de Moulay Abdessalam. Sans doute il y a dans cette prétention généalogique bien des contradictions et des confusions de dates, mais on serait aujourd’hui mal venu à la contester; cependant, il semble bien que tout ce chérifat ne date que de la bataille de l’oued El-Mkhazen et qu’il est basé plutôt sur l’influence du Djazoulisme que sur autre chose.

M’Hammed ben Ali Ber Raisoun, qui avait amené ces contingents de Djebala, était affilié au Djazoulisme ; il était disciple de Sidi Abdallah Bel-Hasain El-Amgbari de Tameçlouht, au sud de Marrakech. Celui-ci était disciple d’Abdallah El-Ghazouani, disciple d’ Abdelaziz Teh ba, le compagnon et le premier disciple de Djazouli. D’autres chaikhs djazoulites avaient assisté à la batail1e de l’oued El-Mkhazen, entre autres Sidi Ali Choulli, disciple de Sidi Ysef Et-Tlidi, disciple de Ghazouani. Sidi Ali Bou Qôba El-Hatimi, Aboul Mahasin El-Fasi, disciple d’Abderrahman El-Medjdoub et bien d’autres. En un mot, les chaikhs de la Tarika Djazouliya donnèrent de leur personne dans la bataille et contribuèrent également, après la victoire, à faire proclamer  par les combattants Ahmed El-Mançour. Mais, pour obtenir cette proclamation et surtout pour arriver à faire rentrer dans leurs montagnes tous ces collaborateurs, utiles sans doute pendant le combat, mais qui devenaient encombrants par leurs exigences, alors qu’il s’agissait de profiter de la victoire et de reconstituer l’empire, le nouveau Sultan dut faire de nombreuses concessions: il lui fallut d’abord abandonner aux tribus de montagnes presque tout le butin et, de plus, ils exigèrent de lui des exemptions d’impôts pour eux et leurs descendants. un « horm », ou zone inviolable, autour des  sanctuaires de Sidi ElMezouar et de Moulay Abdessalam. analogue à celui de la Mecque Ce << horm >) comprenait toute la tribu des Beni Arous et des Soumata et une partie des Beni Gorfet, des Beni Ysef et du Sérif. Enfin, les marabouts du Djebel Alam furent admis à venir à Fès chaque année prélever pendant un mois, à leur .profit, les dons versés par les fidèles dans le tronc de Moulay Idris; c’était reconnaître officiellement la parenté de ces marabouts montagnards avec les ldrisites de Fès.

 

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